Une écrasante reproduction de La Vénus d’Urbin du Titien accueille les spectateurs de l’Odéon. D’épaisses tentures rouges tapissent le sol. Chambre d’alcôve grandeur nature pour le nouveau spectacle d’Angélica Liddell, mystérieusement intitulé Primera Carta de San Pablo a los Corintios.

Comme à son accoutumée, la performeuse espagnole place le dernier épisode de sa trilogie des Résurrections sous la double égide de l’amour-souffrance. Malheureusement, la mécanique commence à rouiller et la déception pointe le bout de son nez, faute de renouvellement et d’innovation. Malgré tout, la démone brune continue de mitrailler avec incandescence  ses déclarations d’amour fracassantes.

On avait quitté la señora Liddell l’an passé sur une singulière note d’apaisement avec Le Viol de Lucrèce. Elle aurait enfin accordé aux hommes son pardon après une épuisante mise à l’épreuve. Le cru 2015, lui, peine au départ à décoller. Dix minutes durant, une femme au bonnet rouge et un homme peinturluré de doré communiquent silencieusement sans que l’on sache vraiment à quoi ils s’affairent. Sensation d’étirement inutile, voire de pur remplissage…

Liddell ne se constitue clairement pas comme une artiste du silence, d’où un étrange sentiment d’incohérence. Des poutres viennent mettre un terme à cet épisode un brin tiré par les cheveux en tombant lourdement sur la scène, comme autant de couperets fatals. L’attention se réveille, mais pour mieux retomber avec le déroulement interminable en voix off d’un extrait des Communiants de Bergman dans lequel Marta écrit une lettre à son compagnon Tomas (un prêtre qui a perdu la foi). Au programme : eczéma généralisée, rupture, questionnement sur la foi. Pendant ce temps, notre diablesse savoure sa cigarette et crache des ronds de fumée avec espièglerie… Niveau dramaturgie, Liddell ne se casse pas vraiment la tête et le résultat laisse franchement perplexe.

Amour sous perfusion
Heureusement, on retrouve notre performeuse rageuse dans la deuxième lettre, celle de « la Reine du Calvaire au Grand Amant ». L’Espagnole, comme toujours, signe un autoportrait au vitriol et se compare à une truie ou à une chienne, « laide et insignifiante ». Les séances de psychanalyse à grande échelle semblent donc être toujours d’actualité et la soumission aux hommes de nouveau revendiquée. Dieu et amour s’épousent ici jusqu’à la folie, pour parvenir à une forme d’extase mystique. Ce qui frappe surtout dans cette seconde lettre concerne l’autodérision franche dont fait preuve la performeuse face à ses propres névroses. Consciente de l’effet caricatural que ses proférations enflammées peuvent susciter, Liddell se moque délibérément d’elle-même en adoptant une gestuelle grotesque et saccadée. Bruja démoniaque, elle se montre à la fois pathétique et touchante.

Pour terminer, Liddell explore la lettre éponyme et laisse éclater un manifeste érigeant l’amour comme valeur ultime et suprême, indispensable au bonheur de la condition humaine. L’amour comme don de soi total, voilà une idée forte secondée par des actions choc comme une transfusion sanguine en direct effectuée sur le Christ doré, un défilé de ménades aux cheveux courts et au sexe apparent ou bien le rasage sur le plateau d’une jeune femme. Sauf que la machine déraille ici : Liddell manque cruellement d’inventivité et recycle sur un mode mineur des scènes parfois traumatisantes expérimentées auparavant. Comment ne pas songer à cet épisode marquant de scarification dans La Maison de la force ? Différence notable et pertinente ici car à l’époque, c’était Liddell qui se mutilait alors que dans ce dernier opus, elle ne fait qu’assister l’infirmière. Ce détail apparemment anodin paraît plutôt traduire une forme de dépersonnalisation, comme si l’artiste se mettait quelque peu à l’extérieur de son propre travail pour observer la codification thématique et formelle de ses créations.

Décidément, Angélica Liddell montre des signes d’essoufflement : Primera Carta… souffre d’un montage textuel mal raccordé dont les transitions s’avèrent floues. Le début poussif invite à se méfier de la suite des événements et bien que la seconde lettre s’impose comme un morceau de bravoure typiquement liddellien, le reste suit moins la route. L’impact des images liddelliennes ne possède plus la même fraîcheur ni la même violence qu’auparavant et une certaine routine s’est créée. Attention à ne pas s’enfermer dans un système contre-productif qui cloisonnerait le bouillonnement artistique… ♥ ♥ ♥

PRIMERA CARTA DE SAN PABLO A LOS CORINTIOS d’Angélica Liddell. M.E.S de l’auteur. Théâtre de l’Odéon. 01 44 85 40 40. 1h25

© Samuel Rubio