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Théâtre contemporain

Elsa Lepoivre, archéologue de la mémoire

Au Studio-Théâtre, Elsa Lepoivre assume seule en scène un texte lourd de drames, de doutes et d’incompréhension. Séduite par le roman de Delphine de Vigan, Rien ne s’oppose à la nuit, la pensionnaire du Français s’est lancée dans une adaptation à quatre mains avec l’autrice. Intelligente et fine, cette vision fragmentée de l’œuvre entraîne le public dans les méandres d’une mémoire contrariée.

Rien ne s’oppose à la nuit, c’est la tentative de comprendre la psyché de Lucile, la mère de la narratrice. Une véritable énigme. L’idée est de remonter aux origines des motivations et du comportement de la figure maternelle. Le spectacle se présente comme une enquête policière visant à reconstituer les pièces du puzzle avec ses béances, ses failles, ses morts et ses absences.

Gracile et mouvante, Elsa Lepoivre insuffle une dignité pleine d’empathie à la prose de l’autrice. Au sein d’un dispositif scénique sobre, la comédienne donne vie à cette mythologie familiale à la fois si particulière et universelle. Une table, quelques chaises, un micro suffisent. Pas plus. La présence magnétique de la sociétaire, simplement habillée d’une chemise bleue et d’un jean, hypnotise. Elle sait nous cueillir et nous transporter. Sa voix mélodieuse et incarnée ne juge pas mais ausculte les zones d’ombre de cette famille avec la curiosité d’une exploratrice assoiffée de vérité. On se prend au jeu avec elle.

Rien ne s’oppose à la nuit – Fragments de Delphine de Vigan. M.E.S de Fabien Gorgeart. Studio-Théâtre (Comédie-Française). 01 44 58 98 54. 1h15. ♥ ♥ ♥ ♥

© Brigitte Enguérand

Alice de Lencquesaing : une parole inviolable

Un seul(e) en scène est une gageure en soi : tout le spectacle se construit autour d’un(e) comédien(nne) ; tout repose sur ses épaules. Pas le droit à l’erreur. Aucun faux pas avec J’avais ma petite robe à fleurs au Rond-Point. Hors de tout pathos racoleur, l’uppercut imaginé par Valérie Lévy touche et atteint sa cible. Le sujet, sensible et délicat, de la tentative de résilience après un viol et du cynisme de la téléréalité ne peut laisser indifférent. Alice de Lencquesaing s’empare à bras le corps et à fleur de peau de ce personnage d’écorchée qui tente de se reconstruire après l’horreur.

Blanche accueille chez elle un caméraman venu filmer son témoignage. Si l’expérience est concluante, elle pourra en parler à la télévision en direct. La jeune femme semble enthousiaste, bien qu’un peu nerveuse. Le sujet au départ reste mystérieux. On sent une urgence palpable, celle de se livrer. Mais raconter un viol, c’est aussi revivre encore et encore le trauma. La catharsis sera-t-elle réellement libératrice ?

Le texte, subtil, navigue entre deux eaux apparemment contradictoires. La confession est-elle source d’angoisse ou de soulagement ? Son histoire, son témoignage à ses parents, aux policiers, lors du procès paraissent bien lourds à porter mais en même temps, Blanche souhaite être sous les feux des projecteurs. Entre exhibition et inhibition, la parole se cherche. Et la pudeur des mots choisis par Valérie Lévy émeut.

La mise en scène de Nadia Jandeau est d’une simplicité recherchée. L’intérieur dépouillé d’un appartement avec les meubles d’usage insiste sur la solitude et le désoeuvrement de Blanche, qui semble perdue avec ses va-et-vient incessants. Comme si sa pensée était en mouvement, sur le fil. Comme si elle cherchait quoi faire, hésitait sans arrêt. La présence du caméraman instaure un dialogue muet mais palpable. La vidéo projetée souligne les expressions faciales de la comédienne et rend son discours plus puissant, plus incendiaire comme si le prisme de l’écran décuplait la rage enfouie au fond de Blanche. Ce sont bien évidemment les réseaux sociaux et la télé-poubelle qui sont aussi critiqués par l’usage de la caméra induisant une forme de voyeurisme malsain, indécent. Toutefois, la vidéo offre aussi des instants de poésie, des bulles d’évasion bienvenues au milieu du climat oppressant ambiant. On y observe Alice de Lencquesaing en extérieur, plus ouverte. Le contrepoint est appréciable.

Il faut par ailleurs souligner la performance de la comédienne. Sous ses allures frêles de petite souris se cache une volonté de fer, déterminée, franche dans son jeu. La jeune femme est impressionnante de maîtrise et suscite d’emblée l’empathie. Elle en impose. On suit avec intérêt le labyrinthe de ses pensées ; les conséquences terribles de son viol qui l’ont poussée à l’isolement, à la méfiance ; sa lente reconstruction semée d’embûches.

J’avais ma petite robe à fleurs est un spectacle fort, qui mérite vraiment qu’on s’y attarde.

J’AVAIS MA PETITE ROBE À FLEURS de Valérie Lévy. M.E.S de Nadia Jandeau. Théâtre du Rond-Point. 01 44 95 98 00. 1h15. ♥ ♥ ♥ ♥

© Giovanni Cittadini Cesi

Sarah Kane fait son entrée au Français

Événement au Français. Sarah Kane est programmée pour la première fois dans la maison de Molière. Simon Delétang a répondu présent à la carte blanche d’Éric Ruf et a choisi de se confronter à Anéantis, la première pièce de la dramaturge anglaise. Un défi en partie relevé mais qui manque de mordant et de chair.

Dans Anéantis, le besoin d’aimer et d’être aimé se heurte sans cesse à une forme de violence exacerbée. Divisée en deux parties distinctes, la pièce se centre d’abord sur la relation houleuse entre Ian, journaliste cynique, alcoolique et malade et Cate, femme-enfant bègue et épileptique. L’homme, plus âgé, éprouve une jubilation sadique à rabaisser son amante. Sous emprise, Cate résiste tant bien que mal aux assauts aussi bien verbaux que physiques mais leurs rapports sont clairement déséquilibrés. La brutalité domestique se retrouve brusquement élargie lorsqu’une explosion se fait entendre. Un soldat débarque dans la chambre d’hôtel du couple et prend en otage Ian. Devenu par la force des choses son confident, le reporter local se transfome en réceptacle des atrocités commises en temps de guerre. Bouleversée par la guerre de Yougoslavie, la dramaturge a décidé d’inclure cet événément sanglant dans l’écriture de sa pièce.

Toute pièce de Sarah Kane est une gageure de mise en scène. Entre hyperréalisme cru et onirisme troublant, son théâtre pose notamment la question de la représentation de la violence. Comment rendre compte d’exactions aussi barbares que les viols, les énucléations ? Comment suivre les didascalies sexuelles sans tomber dans la démesure ?

Simon Delétang opte pour une stratégie élégante : en confiant les didascalies à une voix off féminine, il joue sur une distanciation maligne permettant à la violence de se dérouler hors champ, par l’imagination du public. Tout est soufflé par la voix ; les comédiens, eux, se lancent dans une chorégraphie qui suggère plus qu’elle ne montre. Cette astuce se révèle cependant à double tranchant : la froideur clinique du procédé, sa répétition engendre un mécanisme répétitif annoncé d’ailleurs par un air musical.

L’ensemble souffre donc d’un déficit de chair, d’incarnation, de passion. Si le metteur en scène évite avec soin la surenchère démonstrative, il tombe dans le travers inverse : un manque de feu. Au niveau de l’interprétation, Élise Lhomeau s’en sort bien dans le rôle difficile et ambigu de Kate. Christian Gonon, lui, aurait pu aller plus loin dans le cynisme. L’accent a été mis sur son côté « pauvre type ». Enfin, Loïc Corbery est plutôt convaicant en soldat ravagé par les traumatismes de la guerre. L’alchimie entre le trio d’acteurs a cependant du mal à prendre.

Côté scénographie, l’œil est attiré par la belle chambre d’hôtel luxueuse rouge sang/passion ornée de tableaux de nus antiques. Si l’espace du Studio-Théâtre est assez restreint, le décor, tout en longueur, donne plutôt l’impression de confort. Simon Delétang est parvenu à retranscrire le dépouillement progressif du décor avec intelligence. Par un système de persiennes, la chambre se mue en No Man’s land. L’éclosion finale d’un tournesol offre un moment de poésie et d’espoir, symbolisé aussi par Cate, la croyante.

Si nous n’avons pas été « anéantis » par cette mise en scène, la proposition de Simon Delétang est à saluer.

ANÉANTIS de Sarah Kane. M.E.S de Simon Delétang. Comédie-Française. 01 44 58 15 15. 1h10. ♥ ♥ ♥ 

© Christophe Raynaud de Lage

Michel Fau et Amanda Lear : harpies de choc à la Porte Saint-Martin

Attention, les harpies sont de sortie ! Maître de l’extravagance, Michel Fau se transforme en Bette Davis et mène la vie dure à Amanda Lear, délicieuse en Joan Crawford. Au Théâtre de la Porte Saint-Martin, le duo enflamme la scène et se chamaille avec délectation. On adhère !

Les crêpages de chignon possèdent toujours ce je ne sais quoi de piquant et d’addictif. Quand les noms d’oiseaux volent au-dessus de nos têtes, les oreilles se tendent et on se demande jusqu’où le conflit va aller. Ici, deux egos surdimensionnés s’affrontent : d’un côté, Bette Davis dont la notoriété s’essouffle et d’un autre côté, Joan Crawford, affolée par le déclin de sa jeunesse. Deux femmes au tournant de leur vie, en perte de vitesse, sont ainsi réunies à l’affiche de Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? dans l’espoir de reconquérir leur public.

Michel Fau et Amanda Lear, quelle affiche ! Les deux font décidément la paire. C’est un réel plaisir de les entendre s’échanger des mots fleuris. Michel Fau, odieuse, jure comme un charretier avec délectation tandis qu’Amanda Lear se la joue vamp condescendante. Leurs mimiques, leurs intonations, leurs excès galvanisent la foule. Une complicité évidente se dégage de nos deux vipères qui se ressemblent finalement bien plus qu’elles ne s’opposent. Ce dont elles se rendront compte lors d’un épilogue touchant.

Dans le bel écrin bicolore de Citronelle Dufay, Michel Fau s’emploie à faire fuser les répliques, très enlevées. Le metteur en scène souligne le tempérament volcanique de ces deux actrices, leur répartie tout en dévoilant leur part de vulnérabilité. L’éclairage sculpté de Joël Fabing apporte une touche de glamour hollywoodienne.

QU’EST-IL ARRIVÉ À BETTE DAVIS ET JOAN CRAWFORD ? de Jean Marbeuf. M.E.S de Michel Fau. Théâtre de la Porte Saint-Martin. 01 42 08 00 32. 1h. ♥ ♥ ♥ ♥

© Christophe Martin

Splendeurs et misères des ouvrières au Vieux-Colombier

Pour sa rentrée au Vieux-Colombier, le Français propose une pièce sociale, dans l’air du temps, qui donne la parole à un groupe d’ouvrières bien décidées à sauver leur emploi dans un contexte économique tendu. Avec 7 Minutes, Maëlle Poésy offre une mise en scène nerveuse et palpitante et plonge le public dans un dispositif bifrontal, idéal pour appréhender les réactions de cet essaim de femmes ébranlées dans leurs convictions.

Que représentent sept minutes dans une journée de travail ? Rien apparemment. Des broutilles. Pourtant, ce laps de temps presque insignifiant va provoquer la discorde. Dans un espace indéfini, entre local de stockage et lieu de pause, dix membres du Comité d’usine de Picard & Roche s’impatientent. Blanche, leur porte-parole, est très attendue : cela fait des heures qu’elle parlemente avec les dirigeants de l’entreprise afin d’éviter la faillite. Une fois revenue parmi ses collègues, elle leur annonce une bonne nouvelle : tous les emplois sont maintenus. Mais il y a un mais. En contrepartie, les patrons demandent à leurs employées de réduire leur temps de pause de quinze à sept minutes. Une aubaine pour les dix femmes mais Blanche se montre plus réservée : céder sur ce minuscule point, c’est ouvrir le champ à d’autres abus. Le temps presse : le membres ont une heure pour faire savoir si elles acceptent ou non cette clause. Que faire ?

Le spectateur se retrouve happé, presque pris en otage car la pièce repose finalement sur le pouvoir de conviction de la parole. Blanche va-t-elle réussir à renverser la vapeur et à rallier à sa cause le reste de la troupe ? Véronique Vella, tout en nuances, apporte délicatesse et révolte à son jeu. Toujours à l’écoute, elle prend même des allures maternelles. C’est elle qui brille malgré le talent indéniable de ses camarades. 7 Minutes, partition chorale, donne effectivement à réfléchir sur le sens du collectif, sur la notion de choix, sur la tension entre les aspirations individuelles forcément égoïstes et la force du groupe.

Maëlle Poésy retranscrit avec fougue et fièvre ce théâtre de l’urgence. Pas d’esbroufe, juste le jeu au coeur de la mise en scène. Onze comédiennes, d’âge, de statut et de parcours différents, cohabitent au sein d’un même espace et se donnent la réplique avec énergie. On admire la sagesse vénérable de Claude Mathieu ; on se délecte de la rage de Françoise Gillard ; on apprécie la fraîcheur de Séphora Pondi, toute nouvelle pensionnaire ; on adore toujours autant la spontanéité d’Anna Cervinka. La langue, très ancrée dans le réel et le quotidien d’aujourd’hui, renforce l’illusion théâtrâle. Les échanges, tels un ping-pong, insufflent du rythme à l’ensemble. Emporté dans ce tourbillon verbal et ces retournements de situation, on souhaite évidemment savoir l’issue du vote, qui révèlera quelques surprises…

7 Minutes de Stefano Massini. M.E.S de Maëlle Poésy. Théâtre du Vieux-Colombier. 01 44 58 15 15. 1h30. ♥ ♥ ♥

© Vincent Pontet

Aimer malgré tout : le mélo touchant d’Alexis Michalik

Jusqu’à présent, Alexis Michalik nous avait habitués à des fresques historiques ambitieuses et des intrigues à tiroirs. Avec Une histoire d’amour, la coqueluche du théâtre livre une odyssée plus intimiste, à la chronologie linéaire. Plus simple dans son approche, plus actuelle dans ses propos, cette nouvelle aventure se conçoit comme un mélo qui s’assume. Mais attention : mélo ne signifie pas forcément pathos facile ici. L’émotion pointe le bout de son nez naturellement, sans qu’on n’y fasse attention. Le mérite en revient à une écriture diablement efficace et sans fioriture qui suscite immédiatement une empathie. Une connivence avec les personnages, un intérêt pour l’histoire. En mettant en scène l’ordinaire, l’aventure de l’amour, dans une sphère qui l’est moins, Michalik fait vibrer à l’unisson un public conquis par ce conte moderne.

C’est l’histoire de deux âmes qui n’auraient pas dû se connecter. Mais que voulez-vous, le coeur a ses raisons que la raison ignore. Justine aime les garçons. Enfin, c’est ce qu’elle croit. Mais sa rencontre avec Katia bouleverse son univers et la passion embrase les deux jeunes femmes. L’envie d’un enfant se fait pressante chez Justine. Katia, marqué par un père violent et une mère disparue trop tôt d’un cancer, se montre plus réticente. C’est finalement Katia qui tombera enceinte. Cet événement marquera paradoxalement la fin du couple. Douze ans après, la petite Jeanne a bien grandi. Sa maman, touchée par le même mal que sa génitrice, est sur le point de mourir. Qui pour s’en occuper ?

Sur le papier, tous les ingrédients sont réunis pour concocter un épisode digne de Plus belle la vie. La magie du théâtre fait pourtant des merveilles. On y croit de bout en bout. Les dialogues sont percutants ; l’écriture et la mise en scène fluides. On navigue dans le temps et l’espace avec une facilité déconcertante. Presque en un claquement de doigts. Le changement à vue des décors par les comédiens eux-mêmes ne brise en rien le quatrième mur. L’illusion opère.

Imprimant un jeu réaliste à ses comédiens, Michalik remonte également sur les planches. Composant avec le fantôme de sa femme disparue, William, son personnage, est peut-être le plus attachant. Alcoolique à la dérive, c’est lui finira par s’occuper de sa nièce, la sensible Jeanne jouée par la lumineuse Violette Guillon.

Oscillant entre Éros et Thanatos, cette Histoire d’amour ne se laisse jamais déborder par ses thématiques, parfois lourdes, comme le deuil . Nonobstant quelques naïvetés (une bande-son parfois trop appuyée ; des pas de danse un brin mièvres), ce nouveau spectacle a su toucher juste.

UNE HISTOIRE D’AMOUR d’Alexis Michalik. M.E.S de l’auteur. Théâtre de la Scala. 01 40 03 44 30. 1h25 ♥ ♥ ♥ ♥

© François Fonty

Bérengère Krief fend l’armure dans Amour

Amour : quel joli titre pour un spectacle. Plein de promesses et de surprises. Vague et évocateur à la fois.

À la Gaité Montparnasse, Bérengère Krief ose se confier en toute intimité. Et étonne. Narrant son odyssée sentimentale, l’humoriste à la bouille ronde si attachante fend l’armure. Pour notre plus grand plaisir.

Depuis toute petite, Bérengère idéalise l’amour. La rencontre magique entre Papi Milo et Mamie Ginette lui met des paillettes plein les yeux. C’est décidé : elle aussi aura le droit à son conte de fées. Friande de comédies romantiques à l’eau-de-rose, la jeune femme croit en sa bonne étoile et souhaite forcer le destin. Mais la réalité la rattrape rapidement et un mariage raté l’amène à remonter le cours du temps et à essayer de comprendre ce qui a pu provoquer un tel échec.

On sent que Bérengère Krief a donné beaucoup d’elle-même dans ce spectacle : elle se livre sous un nouveau jour et accepte de briser ce côté girly insouciant qui lui colle à la peau. Par éclair, des révélations choc brisent l’enrobage rose bonbon et suffisent à prendre conscience de la toxicité de certaines relations.

Si Amour adopte un ton grave par moments, on retrouve vite le sourire. La mise en scène léchée de Nicolas Vital contribue grandement à transformer le spectacle en un cabaret de qualité mêlant strass, lip sync (vive Nicole Croisille) et numéro circacien du plus bel effet. Voltigeuse casse-cou et gracieuse à la fois, Bérengère Krief s’essaye au cerceau aérien et prouve ainsi que l’amour ne tient qu’à un fil. Un combat de tous les instants donc qui se conclut sur une note positive car apaisée.

AMOUR de Bérengère Krief. M.E.S de Nicolas Vital. Théâtre Gaité Montparnasse. 01 43 20 60 56. 1h25 ♥ ♥ ♥ ♥

© Laura Gilli

À la recherche des liens perdus

Quel lien nous unit aux autres ? Comment se construire, se reconstruire dans le deuil, l’absence et la solitude ? En portant sur la scène de l’Odéon Nous pour un moment, la nouvelle pièce d’Arne Lygre, Stéphane Brauschweig tente de répondre à ces questions universelles. Par le choix d’une épure aussi bien linguistique que scénographique, le directeur des lieux souligne la fragilité des relations humaines, les aléas bouleversants de la vie. Une langue simple et franche qui relève à la fois de l’anodin et de l’essentiel. Une belle découverte.

Une personne, un ennemi, un inconnu, une connaissance… Autant d’anonymes sans identité précisément définie mais qui vont pourtant se croiser au fil de la pièce. Souvent en duo, parfois en trio, ces forces en présence badinent entre elle, se disputent, se cherchent, se désirent, s’apprivoisent. En toile de fond, un accident tragique qui va se répercuter sur l’ensemble des protagonistes.

Ricochets
La construction de la pièce, en ricochets, séduit. Très fluides, les scènes s’enchaînent en un fondu impeccable. Les situations, de plus en plus noires, évoquent la mort, le suicide. Pour allegée quelque peu cette atmosphère plombante, Stéphane Braunschweig opte pour un décor aquatique du plus bel effet. Les personnages se meuvent dans un parterre liquide qui évoque les changements soudains de direction que peuvent prendre nos vies. Un plateau tournant permet de changer rapidement de situation, tout comme un panneau qui se lève et se baisse à l’envi. Simple mais efficace.

La ronde de comédiens, glissant aisément d’un personnage, voire d’un sexe à l’autre, brille. Citons-les tous : Anne Cantineau, Virginie Colemyn, Cécile Coustillac, Glenn Marausse, Pierric Plathier, Chloé Réjon et Jean-Philippe Vidal.

Un moment troublant, comme l’eau qui s’agit au gré des pas de ces êtres en quête de sens et de connexion à autrui. ♥ ♥ ♥ ♥

NOUS POUR UN MOMENT d’Arne Lygre. M.E.S de Stéphane Braunschweig. Théâtre de l’Odéon.  01 44 85 40 40. 1h35

© Elizabeth Carrechio

Les Beaux ou les tourments de Barbie et Ken

Qui n’a jamais eu envie de pulvériser le sourire Émail Diamant de Barbie et Ken ? Leur idylle sirupeuse et sans nuages a de quoi filer de l’urticaire. Leur jeunesse, leur beauté et leur plastique parfaite donnent le bourdon…

Sous le vernis irréprochable des apparences, se cache une réalité beaucoup moins reluisante. Dans Les Beaux au Petit Saint-Martin, Léonore Confino envoie valser les bienséances et nous entraîne dans le tourbillon de la vie à deux . C’est par le prisme idéalisé de la petite Alice, la fille du couple, que le décalage entre le rêve et le quotidien s’opère. En s’évadant dans son univers de poupées, la fillette fuit le conflit en se créant un cocon réconfortant, celui d’une famille heureuse et parfaite.

La vie à deux se transforme ici en uppercuts mordants, entre ironie et hurlements incontrôlés. L’auteur jongle entre une vision très juste des rapports humains et un certain esprit de démesure qui confinerait presque à la caricature. Entre moqueries et noms d’oiseaux, ces parents se cherchent et cherchent encore à donner du sens à leur couple. On sent poindre une forme de désespoir chez ces deux êtres au bord du gouffre qui n’en peuvent plus de se mentir et sont prêts à exploser.

Côme de Bellescize entretient avec art cette confusion entre jeu et gravité tout au long de la pièce. Entre déshumanisation grotesque et engagement émotionnel, le metteur en scène impose un jeu très physique à son tandem de choc. Élodie Navarre et Emmanuel Noblet montrent une belle alchimie et savent adopter la bonne distance ou au contraire un rapprochement au moment opportun. Très bien dirigés, ils s’investissent à fond et se révèlent aussi hilarants que touchants. ♥ ♥ ♥ ♥

LES BEAUX de Léonore Confino. M.E.S de Côme de Bellescize. Petit Saint-Martin. 1h. 01 42 08 00 32.

© Émilie Brouchon

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