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Cinq comédiennes. Un metteur en scène. La pornographie. Par des raccourcis faciles,  Bad Little Bubble B. pourrait être perçue comme la matérialisation scénique de fantasmes sapphiques et voyeuristes de la part d’un pervers. Ce serait commettre une grossière erreur car Laurent Bazin a conçu un objet théâtral et plastico-philosophique puissant d’un heure autour d’un thème apparemment racoleur mais soulevant de nombreuses interrogations quant à notre rapport à l’image. Voulant « affirmer le pouvoir de mutation de l’être humain », le metteur en scène, ayant remporté le Prix du Jury du Festival Impatience 2013, propose une création protéiforme et percutante. Brillant, À voir absolument au Rond-Point.

Une femme à terre, recouverte d’habits. Deux démones la déshabillent et lui ordonnent de se toucher la culotte ou de lécher. Pantin désarticulé, elle se réifie en un trou et une « chatte ». bonne à donner du plaisir mais incapable d’en recevoir. Cette scène liminaire choc donne le la de Bad Little Bubble B. Ce « B » mystérieux renvoie aux « butts », ces derrières rebondis aiguisant l’appétit des mâles. Car oui, dans cet étrange spectacle, la métamorphose semble être un concept clé.  « Corps désirant, désiré, dominant-dominé, cérébral, viscéral, brûlant, glacial, réflexif » affirme Laurent Bazin dans sa note d’intention. La femme se soumet à la domination patriarcale et machiste pour mieux s’en délivrer et en jouer. La richesse de la performance provient de sa multiplicité formelle : la pornographie se retrouve déclinée en autant de saynètes hilarantes, obscures ou innovantes. Comme en témoigne ce colloque universitaire où il est question de la pulsion freudienne et de la fusion qu’opère la pornographie entre source et objet du désir. Ou ces crises d’épilepsie mêlant jouissance et mort dans des grognements effrayants. Sans oublier une leçon d’anatomie déroutante oui ce casting de films X humiliant pour de jeunes actrices de l’Est… La nudité s’affiche d’ailleurs très vite, pas de pudeur, on est cash avec Bazin : mais l’exhibition n’est pas fortuite. Les rondeurs ou la minceur s’exposent dans un questionnement du corps pertinent mettant le spectateur dans une position inconfortable. Attiré, apeuré, il prend en pleine face cette bizarrerie fascinante.

Femmes de Cro-Magnon, hardeuses, étudiantes, Cécile Chatignoux, Céline Clergé, Chloé Sourbet, Lola Joulin et Mona Nasser sont merveilleusement dirigées et délivrent un jeu fougueux, insolent et piquant. Alternant les casquettes, les cinq actrices  épatent. Chapeau !

Ainsi, en saisissant l’ambivalence de la pornographie (« un temps où l’image nous tient captif, et le moment réfractaire où le support nous apparaît dans toute sa vulgarité et sa laideur »), Laurent Bazin amène à nous interroger sur la place du spectateur face à un ovni aussi déconcertant. Une belle réussite à découvrir ! ♥ ♥ ♥ ♥ ♥

© Svend Andersen
© Svend Andersen