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Jean-Louis Martinelli déterre des cartons une pièce méconnue du dramaturge américain Eugene O’Neill baptisée Anna Christie (à ne pas confondre avec la reine des romans policiers). Foncièrement féministe, ce drame en pleine mer opère un retour gagnant sur les planches pour Mélanie Thierry. Vaporeuse et terrienne, la comédienne emporte tout sur son passage dans le rôle éponyme. Un portrait de femme poignant à découvrir à l’Atelier.

Dans un bar crasseux de New-York, un vieux loup de mer alcoolique se prépare à la visite de sa fille Anna, qu’il a confiée à des cousins fermiers quinze ans auparavant. Désireuse de se reposer, elle embarque avec son père en mer. L’occasion de rattraper le temps perdu malgré les rancœurs. La jeune femme tombe alors amoureuse de Matt, un matelot bourru mais candide sauvé des flots par le tandem. Une demande en mariage arrive rapidement. Mais tiraillée par les instincts démesurément possessifs de ces deux hommes, Anna joue cartes sur table et avoue son passé de prostituée dans un but évident d’émancipation.

Bien que la pièce d’O’Neill suive une trajectoire prévisible, on tremble devant le destin brisé d’Anna. En avance sur son époque (le texte date de 1922), le dramaturge dénonce la domination masculine étouffante et injuste qui dénie toute individualité aux femmes. S’autorisant des attitudes qu’ils condamnent chez le beau sexe, Chris et Matt deviennent les parangons d’un machisme ordinaire. Anna Christie ne ressemble en rien à un mélo daté, il interroge des questions malheureusement toujours d’actualité.

Dans la belle scénographie boisée et rustique de Gilles Taschet (peut-être pas assez « crade » à notre goût), les comédiens s’engagent dans une lutte des sexes qui les met à terre. En tête, Mélanie Thierry illumine ce constant brouillard en sirène-amazone, bien décidée à revendiquer ses droits de femme. Solaire et lunaire, elle déploie une complexité de jeu remarquable. Stanley Weber se détache en marin viril diablement sexy et méchamment macho. Le duo amoureux fonctionne à merveille, tout en tension érotique. Féodor Atkine (la géniale voix française de Dr House) émeut en père tentant de recoller les morceaux.

Pour la composition étonnante de Mélanie Thierry et la force dramatique de la pièce, n’hésitez pas à voir Anna Christie.  ♥ ♥ ♥ ♥

© Pascal Victor
© Pascal Victor