Après L’Anniversaire, le Vieux-Colombier inaugure sa rentrée théâtrale avec Trahisons de Pinter. Cette histoire d’adultère, somme toute banale, surprend par sa chronologique inversée. Construite à rebours, cette pièce intimiste se transforme en interrogatoire sournois en neuf scènes aussi perturbantes que drôles. Frédéric Bélier-Garcia s’empare de Trahisons dans une mise en scène chic mais trop aseptisée pour réellement nous faire saisir le sens de la menace pinterien. Bien que les trois acteurs émeuvent (avec un Laurent Stocker en dessous), on reste sur sa faim : tempo trop lent ne respectant pas suffisamment l’esthétique elliptique de la pièce, le rythme de cette série de réévaluations gèle le sentiment d’urgence lié à la thématique du secret et de l’aveu. Perfectible donc et bilan mitigé.
Emma. Robert. Jerry. La femme, le mari et l’amant. Équation classique du théâtre bourgeois. Deux ans après leur rupture, la galeriste retrouve son ancien amant, agent littéraire, dans un bar. L’occasion de se remémorer les temps heureux et les coups durs. Cette intrigue amoureuse entre trois amis ne se déroule pas de sa source à sa fin mais de son dénouement à son commencement. Le traitement temporel de cette pièce de Pinter déroute par son ingéniosité. Prenant le public à témoin, le rendant complice même, l’auteur anglais s’autorise des coups de poker géniaux où la frontière entre victime et traître se brouille. Mensonges, révélations, séparations et rencontres : tout y passe dans une finesse d’écriture déjouant les codes du boulevard pour s’inscrire dans une menace ténue mais tangible.
Justement, le principal souci de la mise en scène de Bélier-Garcia consiste à avoir trop occulté cette donnée primordiale, délaissant l’inquiétante étrangeté de la partition pinterrienne. Pourtant, le trio d’acteurs qu’il dirige se révèle dans l’ensemble particulièrement sensible notamment Léonie Simaga, qu’on retrouve avec plaisir sur scène. Délicate et torturée, dans son éventail de robes colorées, l’actrice insuffle grâce et terreur à cette femme adultère. Denis Podalydès campe un mari plutôt terrifiant mais qui aurait pu encore plus dévoiler ses zones d’ombre. Quant à Laurent Stocker, il nous a semblé plus faible et moins nuancé que le couple, son rôle étant peut-être plus ingrat. La scène finale, où Jerry retient Emma par le bras, canalise tous les enjeux de ce ménage à trois bien spécial et clôt subtilement la pièce.
Bélier-Garcia se rattrape dans une scénographie de toute beauté, notamment au niveau des changements de décors. De grands panneaux noirs coulissants découpent fluidement l’espace, offrant un caractère cinématographique à ces tranches de vie. Cependant, la musique se révèle trop présente et parait combler inutilement les transitions spatio-temporelles.
Ainsi, Trahisons brille par son inégalité : tant au niveau de la distribution que de l’échec à retranscrire une sensation de menace et d’urgence. S’appuyant sur une scénographie somptueuse, cette version se montre trop lisse pour restituer les multiples facettes de ce trio d’amoureux-amis. Petite déception donc mais à voir tout de même. ♥ ♥ ♥

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