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Dans L’Affaire de la rue de Lourcine, le vaudeville le dispute au roman policier dans une sombre affaire d’assassinat burlesque. Yann Dacosta revisite les motifs labichiens dans une ambiance cauchemardesque et cocasse. Portée par cinq comédiens loufoques et énergiques et un duo de musiciens talentueux, cette version millimétrée séduit. N’hésitez pas.

Une scène d’orgie alcoolisée ouvre le bal : corps à la dérive, musique à plein tube. La fête, en somme. Le réveil s’annonce néanmoins brutal pour le riche Lenglumé. Se souvenant seulement d’avoir perdu un parapluie vert, il découvre dans son lit son camarade de beuverie, Mistingue, qui a oublié un mouchoir portant ses initiales. La femme du rentier lit à table un article sur une jeune charbonnière retrouvée assassinée dans la rue de Lourcine. À ses côtés, gisent les deux objets perdus… Le duo d’ivrognes aurait-il commis le crime ? La machine infernale s’élance alors et transforme la décence en ignominie.

Dans cette courte pièce en un acte, Labiche ausculte toutes les mesquineries de la bourgeoisie de l’Empire déclinant et ses tabous : adultère, homosexualité refoulée, mensonges, meurtres… Même si la fin s’épanouit dans la liesse, la bassesse des deux hommes met à mal la morale et renvoie plutôt aux instincts les plus primaires et malsains de l’existence. Sous des couverts de comédie, ce vaudeville se veut féroce et absurde.

La scénographie de Fabien Persil et William Defresne place le décor dans un appartement luxueux, où l’or le dispute aux tapisseries stylisées. Un table-fontaine trône au centre et se métamorphose en objet dramaturgiquement indispensable : à la fois symbole de richesse mais aussi d’oubli (le fleuve Léthé), ce bassin échoue à éponger les crimes des deux malfrats. Se laver les mains s’avère aussi vain que d’échapper à sa conscience.

Yann Dacosta situe sa vision de la pièce dans un cabaret inquiétant et cohérent. Orages grandiloquents, rhumes incessants, trombe d’eau s’immisçant dans l’intérieur rassurant de la maison, ours en peluche dissimulant bien des surprises… Autant d’éléments troublants parfaitement rendus par le metteur en scène. Construite sous forme d’enquête où l’amnésie constitue le suspect numéro un, L’Affaire de la rue de Lourcine se suit sans temps mort et avec un plaisir indubitable. Dans la plus pure tradition du vaudeville, de nombreuses chansons accompagnent avec parcimonie la comédie. Pablo Elcoq et Pauline Denize jouent en live une partition plutôt rock tandis que le reste de la distribution se lance dans des morceaux rythmés et amusants.

Benjamin Guillard et Guillaume Marquet s’apparentent à des Laurel et Hardy bouffons et vils : le premier, petit et trapu, campe un Lenglumé snob et lâche à souhait avec délectation, tandis que le second s’impose en Mistingue élancé et fortement alcoolisé. Ce tandem de bras cassés assure le show. Hélène Francisi régale en épouse dépassée par les événements tandis que Jean-Pascal Abricat, en cousin-témoin tout de vert pomme vêtu, ressemble beaucoup à Christian Hecq dans sa clownerie. Pierre Delmotte, enfin, s’illustre en domestique insolent.

Ainsi, L’Affaire de la rue de Lourcine mérite le détour, tant par sa mise en scène intelligente et logique dans sa démarche cauchemardesque que par l’abattage des comédiens-musiciens, très à l’aise dans leur rôle. Allez-y ! ♥ ♥ ♥ ♥

© Julie Rodenbour
© Julie Rodenbour