tuer phèdre

Alberto Lombardo, qu’on avait déjà admiré dans Racine par la Racine, revient sur ses obsessions raciniennes en présentant son propre spectacle, Tuer Phèdre, à la Folie Théâtre. Dans cette variation maligne sur la pertinence toujours réactualisée du mythe fondateur de la passion amoureuse, le comédien incarne un metteur en scène ravagé par une idée fixe. Sur les célèbres vers raciniens se superpose un thriller érotico-amoureux entraînant et brillamment construit. Une occasion en or de redécouvrir un bijou sous un jour nouveau.

Un jeune homme s’introduit par effraction dans une salle de répétition plongée dans l’obscurité. Christian souhaite voir son cousin éloigné afin d’auditionner pour sa pièce, une réécriture de Phèdre. Le metteur en scène, surpris par cette intrusion, se montre d’abord réticent avant de déceler le potentiel de son futur élève. Un jeu de manipulation pervers et dangereux s’installe alors entre les deux hommes… Qui est la dupe de l’autre ?

On connaît l’amour d’Alberto Lombardo pour Racine. On aime son jeu cérébral et fougueux, mettant à distance le roi de la tragédie pour mieux se le réapproprier. Tuer Phèdre constitue dès lors un hommage vibrant à l’art de la sobriété racinienne couplé à la fureur de la passion mais aussi une mise à mort de cette figure incestueuse qui consume le metteur en scène. L’auteur porte la pratique du décalcage à son plus haut niveau : les scènes cultes de la plus connue des tragédies raciennes se mêlent à l’histoire d’amour en pleine élaboration d’un couple surprenant. L’épisode des aveux, du suicide ou de la rage amoureuse viennent ainsi illustrer la situation du duo : Christian est amené à parler du désir coupable pour sa tante, mime la masturbation afin de ressentir plus intensément les morsures de la chair…

© Vincent Desauti
© Vincent Desauti

La pièce se focalise sur la notion de dépassement : afin de pousser Christian dans ses derniers retranchements, le metteur en scène ose tout. Les provocations, l’humiliation et les exhortations se déchaînent mais l’adulte glisse dans sa propre toile. Ce créateur démiurge ne voit pas que l’élève n’est pas si candide : la transformation la plus fulgurante n’opérera pas chez celui que l’on croit.

La fusion permanente entre fiction et réalité, via une mise en abyme vertigineuse, entraîne des troubles identitaires malléables : tour à tour bourreaux puis victimes, les deux personnages endossent la ribambelle de rôles raciniens avec une égale intensité. Le don total de soi que suppose le théâtre apporte une auto-destruction sans retour qui laissera brisé le metteur en scène pendant que l’élève triomphant quittera la scène. On songe évidemment à La Leçon de Ionesco, dans un contexte moins absurde mais tout autant ravageur.

Ce jeu de masques terrifiant repose sur l’interprétation d’un duo explosif et complémentaire. Le très jeune Maxime Fabia, grande brindille faussement fragile, insuffle une touchante maladresse à son personnage tandis qu’Alberto Lombardo excelle dans le rôle du tyran pris malgré lui dans les filets du désir. La mise en scène sans fioriture distille çà et là de belles trouvailles comme ce drap rouge serrant érotiquement les corps dans une étreinte d’abord hésitante puis violente ou encore un jeu sur les lumières inspiré injectant des zones d’ombre troubles sur ces protagonistes à double facette.

Ainsi, Tuer Phèdre fascine par sa réinterprétation engagée d’un mythe littéraire dérangeant et captivant. Alberto Lombardo se fait plaisir dans un spectacle ingénieux en forme d’hommage paradoxal. On se surprend à trouver de nouvelles caisses de résonance dans cette histoire que l’on croyait connaître sur le bout des doigts. ♥ ♥ ♥ ♥ ♥

© Vincent Desauti
© Vincent Desauti