normaEn 2012, lors de la création de Norma Jeane, Muriel Mayette avait décidé de recruter la jeune Marion Malenfant dans la troupe du Français, époustouflée par la performance de cette jeune pousse prometteuse. Deux ans plus tard, la belle plante prend son envol et choisit de quitter la prestigieuse maison de Molière afin de reprendre le rôle qui l’a consacrée. Cette décision douloureuse à prendre offre l’occasion à ceux qui étaient passé à côté de ce biopic théâtral ambitieux mais tourbillonnant de se replonger dans la vie tourmentée d’une icône auréolée de gloire mais profondément malheureuse. Une épopée toute en paillettes et en désillusions à contempler au Théâtre 13.

Le rêve américain, la sensualité affriolante d’une robe blanche et d’une blondeur éblouissante, Les Hommes préfèrent les blondes, Kennedy : autant d’épisodes ayant contribué à ériger Marilyn Monroe au rang d’idole mondiale. Mais qui est réellement au fond cette femme blessée par la vie ? John Arnold n’a pas peur des défis. S’attaquant à Blonde de Joyce Carol Oates, énorme pavé de plus milles pages, le metteur en scène condense en deux heures trente la trajectoire fulgurante d’une star humiliée par les abondons successifs. Le biopic théâtral présente d’emblée des difficultés inhérentes à la scène : comment résumer la vie d’une star sur un plateau en évitant les raccourcis, les contresens ou les coupes monstrueuses ?

John Arnold a opté pour l’angle d’un conte moderne, à mi-chemin entre onirisme et réalisme. Norma Jeane Baker est loin d’avoir vécu un rêve enchanté : abandonné par son père, rejetée par une mère folle et insensible, la petite fille atterrit dans un orphelinat. Recueillie par des parents adoptifs qui veulent la marier, la future Marilyn grandit et se rend compte qu’elle attire toute l’attention masculine. Ses trois mariages se soldent par des échecs cuisants et la tentation d’en finir effleure plusieurs fois l’esprit de la jeune femme… Meurtrie par l’absence d’enfants, frappée et considérée comme une machine à fric et à sexe, M.M sombre dans une crise identitaire poignante. Quand on la découvre dans son lit en 1962, le monde s’affole. S’est-elle suicidée ou a-t-elle été assassinée par les sbires de Kennedy, la réduisant ainsi au silence ? La seconde hypothèse semble privilégiée par le metteur en scène qui ouvre et clôt son adaptation par le meurtre de Norma Jeane. Cette tournure circulaire résume la vie de la star : une perpétuel désir de reconnaissance et d’amour paternel avorté. Cette petite poupée, moins stupide qu’elle n’en a l’air, portera toute son existence le fardeau d’une solitude trop grande pour elle. La défonce à l’alcool et aux médicaments constituera une échappatoire illusoire pour un vide impossible à combler.

© Bellamy
© Bellamy

Pour incarner une telle icône, aucun droit à l’erreur permis : Marion Malenfant s’impose avec évidence et délicatesse dans la peau de M.M. De la petite fille de six ans bringuebalée par une mère odieuse, en passant par l’adolescente naïve mais déjà sensible à la chair sans oublier la jeune actrice paralysée par la peur, la jeune comédienne jette ses tripes dans l’arène impitoyable d’Hollywood avec la même flamme hypnotisante. Souvent à terre, elle se relève tel un phœnix blanc et démontre une belle ambivalence dans son jeu : mi-pute mi-enfant, mi-crédule mi-lucide, mi-simplette mi-amazone. Marion Malenfant donne à voir toutes les palettes émotionnelles d’une femme complexe, difficilement réductible à ses photos de Playmate ou à son statut de diva.

John Arnold, tel un Monsieur Loyal burlesque, se tient autoritairement aux commandes derrière son bureau situé parmi le public. Il dirige une troupe d’acteurs polyvalents avec le même bonheur et la dizaine de comédiens change de costume sans jamais ciller. Citons Fabienne Périneau, Aurélia Arto, Maryse Poulhe ou Antoine Formica, intenses dans chacune de leur composition.

La mise en scène se veut cinématographique et haletante : fonctionnant par saynètes, inhérentes au genre même du biopic, Norma Jeane enchaîne les épisodes sans temps mort et dans un souci de lisibilité salutaire. On retiendra plusieurs tableaux qui touchent en plein cœur comme les relations mère/fille, les révoltes de la jeune actrice affirmant haut et fort qu’elle sait qu’elle deviendra une idole, ou bien la scène magnifique où Marion Malenfant se déshabille sur scène et clame sa solitude nue, vulnérable et invincible à la fois.

Quelques réserves néanmoins : on s’interroge sur la pertinence de certains passages prononcés dans un anglais balbutiant et la propension à la caricature notamment pour la représentation des véreux du cinéma, grimés en gangsters ridicules… En outre, la présence imposante du metteur en scène sur le plateau apparaît superflue, voire maladroite.

Ainsi, malgré plusieurs lourdeurs, Norma Jeane constitue une entrée en matière considérable pour tous ceux qui souhaiteraient en découvrir plus sur le destin brisé de cette femme mythique. Ce biopic théâtral se révèle captivant de bout en bout et le public se retrouve entraîné dans les rouages implacables de la combustion lente mais irrévocable d’une célébrité en mal d’amour. Marion Malenfant trouve sans doute ici le rôle de sa vie : soleil noir perturbé et radieux, l’actrice n’a de cesse de nous épater. On lui souhaite une immense carrière. ♥ ♥ ♥ ♥

© Bellamy
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