Le chant des aèdes résonne avec fureur et fluidité au Théâtre de Belleville. La jeune et prometteuse Pauline Bayle se confronte en effet à un monument de notre patrimoine littéraire, L’Iliade. De cette somme gigantesque de plus de quinze mille vers, la metteur en scène condense avec brio la poésie homérique, servie par un quintette de jeunes comédiens très investis. Un beau moyen d’entrer en contact avec un texte ardu.  Courez les applaudir !

Phénomène millénaire, la guerre transcende les générations et les frontières. Avec L’Iliade, Homère érige le récit des scènes de batailles comme genre littéraire à part entière. Le poète grec n’hésite pas à faire dans la surenchère sanglante, avec bouts de cervelle qui dégoulinent, membres cassés et amoncellements de cadavres…

Comment parvenir à restituer sur un plateau cette matière si féconde, souvent fastidieuse à la lecture car fondée sur un martèlement répétitif incontrôlable, presque une logorrhée ?

Pauline Bayle a eu la bonne intuition de sentir tout le potentiel dramaturgique d’un tel terreau épique.  En une heure vingt chrono, la metteur en scène réussit une adaptation maligne et accessible. Les enjeux homériques apparaissent avec une forte évidence : L’Iliade multiplie les exploits guerriers pour surtout mettre en avant l’épuisement de mortels en souffrance, soumis aux peines d’amour et las d’un combat qui dure depuis neuf longues années.

L’Odyssée du théâtre
Les cinq soldats en présence, remplis d’une rage de dire palpable,  se dédoublent et les mots deviennent des coups d’épée tranchants. Andromaque, Agamemnon, Hector, Achille ou Diomède se livrent avec sincérité. Parole frontale, adresse saccadée… Homère palpite avec une belle modernité ici. Pauline Bayle, Charlotte Van Bervesselès, Yan Tassin, Florent Dorin et Alex Fondja sont des guerriers d’aujourd’hui ; ivres de victoire et pressés de voir le conflit enfin se terminer. Leur implication fait plaisir à voir.

En guise de décorum, deux grandes pancartes d’écolier symbolisant les forces en présence et quelques chaises. Rien de plus pour permettre à l’imaginaire de s’emballer. Quelques jolies trouvailles ponctuent la représentation comme ces paillettes dorées représentant la magnifique armure de Patrocle ou ces éponges gorgées de sang pressées sur une bâche… Saisissant. Enfin, la jeune femme s’est permis l’audace de reformuler de façon burlesque les dialogues des dieux de l’Olympe. Perruques à gogo, travestissement contribuent à dédramatiser la situation et à apporter une touche de légèreté dans ce monde brutal. Ce contre-point comique permet de mieux souligner les prouesses humaines, leur vaillance et leur résistance malgré l’usure.

Pauline Bayle signe donc une transposition atemporelle et asexuée d’un texte fondateur de notre humanité. Pleine de bruit et de fureur, de compassion et de tendresse, son Iliade mérite le détour. Généreuse et  fougueuse, sa version redynamise Homère. Pour le meilleur. ♥ ♥ ♥ ♥

ILIADE d’après Homère. M.E.S de Pauline Bayle. Théâtre de Belleville. 1h20.

© Pauline Le Goff