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Après La Ville, le jeune Rémy Barché poursuit son exploration de l’univers crimpien avec le grinçant Play House. En treize mini-séquences, l’artiste associé à la Comédie de Reims monte pour la première fois en France cette parodie caustique de la vie conjugale en en accentuant la distanciation brechtienne avec l’esprit d’un gamin-trublion insolent. Un pur régal à consommer au Théâtre de Belleville !

Avec Play House, Crimp s’amuse à déconstruire un sujet éculé et ultra banalisé : le quotidien d’un couple. Comme les meubles en kit que Simon et Katrina tentent d’assembler, la fragmentation de l’amour auscultée par le dramaturge britannique relève d’une attention viscérale à l’architecture temporelle et rythmique de sa pièce.

Rémy Barché retranscrit ces tranches de vie avec l’obsession d’une horloge réglée sur ressorts : à chaque tic-tac correspond une nouvelle micro-scène, manifestée par les regards abasourdis que nous lancent les deux tourtereaux. À la vitesse de l’éclair, le metteur en scène dissèque la trajectoire des époux de l’idylle aux disputes en quarante-cinq minutes chrono. Pas le temps de chômer !

Barché suit les traces de la défamiliarisation chère à Crimp en inscrivant volontiers son travail dans un processus anti-naturaliste absolument drolatique et en même temps d’une cruauté implacable. Dans un décor pastel et flashy très sixties, où trône l’assemblage disparate de couleurs vives, Myrtille Bordier et Tom Politano (tous les deux renversants) se lancent à corps perdu dans un jeu de massacre jubilatoire. Yaourt moisi recraché fissa, perruques incongrues et pourtant confondantes de naturel, feuilles de papier dévorées ou sang dégoulinant après un brossage de dents… Bref, toutes les bizarreries de l’amour matérialisées par une étrange familiarité. Ces deux zigotos ressemblent à des robots ressassant des phrases toutes faites sur la force du désir et autres joyeusetés tout en adoptant un jeu outrancièrement ahuri et à côté de la plaque. Résultat, on se croirait tout droit projetés dans un mash-up entre Real Humans et Le Cœur a ses raisons.

Se moquant méchamment des téléfilms à l’eau de rose et des soap-opera, Barché réinvestit à la lettre le titre de la pièce en insistant sur la dimension fabriquée du couple, ce jeu de rôles permanent où le côté ludique de la relation prend le pas sur la sincérité des sentiments. On joue l’amour, on ne le vit pas vraiment. Dans ce simulacre féroce du bonheur à deux, percent une angoisse sourde et une ombre menaçante : celle du père de Katrina qui traverse l’ensemble de ces treize petits épisodes. Le sujet tabou de l’inceste plane à demi-mots sur le couple dans la mesure où une robe d’ado tachée de sang vient corroborer cette hypothèse. Le rire devient dès lors vite jaune…

Saluons donc l’initiative franchement bienvenue de Rémy Barché d’avoir voulu créer un texte inconnu dans nos contrées : ces Barbie et Ken trop beaux pour être vrais évoluent dans cette Maison de jeu corrosive et hilarante avec un plaisir évident d’interprétation doublé d’un sens diabolique du rythme. Gageons que ce metteur en scène prometteur va très vite faire parler de lui… ♥ ♥ ♥ ♥ ♥

© Axel Coeuret
© Axel Coeuret