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Hier au théâtre

Candide passe avec succès l’épreuve de la rampe avec Arnaud Meunier

Candide au théâtre ? La promesse est belle et ambitieuse. Désireux de vivre cette aventure depuis une dizaine d’années, Arnaud Meunier concrétise son rêve et offre une expérience de troupe galvanisante au Théâtre de la Ville. Le mordant du philosophe des Lumières transparait avec éclat sur scène.

Un dépouillement chirurgical accueille les spectacteurs avant même le lever de rideau. L’espace surprend par son vide. Seul un immense cadre souligné par des néons rejaillit : une manière de symboliser la page d’un livre ouvert au public d’où sortiraient les personnages ? Le metteur en scène fait confiance à la puissance du texte voltairien et fait le choix d’une épure judicieuse. C’est l’imagination de l’auditoire qui s’active et recrée tous les périples du pauvre Candide bringuebalé de continent en continent. Un usage raisonné de la vidéo, de beaux costumes et perruques d’époque, un voile évocateur et quelques chansons suffisent à faire illusion.

Si le décor est volontairement sobre, l’habillement musical prend du galon et impose sa présence. Avec Matthieu Desbordes à la batterie et Matthieu Naulleau au piano, ça déménage ! La musique, tantôt malicieuse, tantôt solennelle, entre en harmonie avec les situations et rythme le tout.

D’une fluidité remarquable, l’adaptation d’Arnaud Meunier se suit avec plaisir. Les comédiens parlent de leur personnage à la troisième personne, ce qui peut désarçonner de prime abord mais contribue à une mise à distance appréciable, soulignant ainsi les talents de conteurs de l’équipe entière. S’appuyant sur une impressionnante distribution, le spectacle peut compter sur des acteurs au diapason. Citons-les tous, à commencer par Romain Fauroux, grande tige souple et benêt sensible. Son aura inspire immédiatement la sympathie. Manon Raffaelli, Cécile Bournay, Philippe Durand, Gabriel F., Nathalie Matter, Stéphane Piveteau et Frederico Semedo complètent le tableau.

Il se dégage de l’ensemble une vraie gourmandise de jouer, de partager, de s’approprier la prose de l’écrivain des Lumières. Les tableaux s’enchaînent, tels des pages qu’on tourne et qu’on dévore. Certains épisodes retiennent plus l’attention que d’autres : on pense aux histoires de Cunégonde et de la Vieille qui ont vécu l’Enfer ou bien au voyage dans le pays enchanté de l’Eldorado avec ses habitants si hospitaliers. Si certains extraits s’avèrent verbeux et supportent moins le passage sur les planches, force est de constater que la force des mots et l’enthousiasme contagieux de la troupe renversent tout sur leur passage. L’ironie de Voltaire n’a en rien perdu de sa vigueur. Combattre les préjugés, quels qu’ils soient, avec humour et férocité, est toujours d’actualité. Merci pour ce souffle ludique, frais et entraînant !

CANDIDE de Voltaire. M.E.S d’Arnaud Meunier. Théâtre de la Ville. 01 42 74 22 77. 2h. ♥ ♥ ♥ ♥

© Sonia Barcet

Berlin Berlin : un mur comique à franchir avec allégresse

Au Théâtre Fontaine, Patrick Haudecœur et son acolyte Gérald Sibleyras ont troussé une comédie politique haute en couleurs. Sur fond de fin de guerre froide, Berlin Berlin multiplie les situations cocasses et fait la part belle à des personnages au caractère bien trempé. Une réussite.

Emma et Ludwig s’aiment et souhaitent échapper à la rudesse de Berlin Est. Pour passer à l’Ouest, Emma fomente un plan et devient l’aide-soignante de la mère âgée de Werner Hofmann, un agent zélé de la Stasi. Un passage secret se cache à l’intérieur de la bibliothèque et mène de l’autre côté du Mur…

La pièce n’est pas avare en rebondissements : le rythme est donc assez enlevé, le tout dans le décor astucieux imaginé par Édouard Lang. José Paul mise tout sur la synergie des comédiens qui semblent bien s’amuser sur scène. Anne Charrier emporte l’adhésion en James Bond Girl intrépide et novice ; Patrick Haudecoeur s’avère toujours hilarant en mari aimant, ahuri et un brin bêta. Les deux font la paire en Bonnie and Clyde du dimanche. Maxime d’Aboville, lui, est irrésistible en bon petit soldat félé du bocal légèrement inquiétant tandis que Marie Lanchas est exquise en virago communiste… Bref du beau monde ! Ne mettez pas d’obstacles entre ce Mur et vous ; ce serait trop dommage !

BERLIN BERLIN de Patrick Haudecœur et Gérald Sibleyras. M.E.S de José Paul. Théâtre Fontaine. 01 48 74 74 40. 1h30. ♥ ♥ ♥

© Bernard Richebé

Quelle énergie ces Producteurs !

L’appétit d’Alexis Michalik ne connait décidément pas de limite. Après ses nombreux succès parisiens, le touche à tout se lance à la conquête de la comédie musicale. Au Théâtre de Paris, il monte Les Producteurs, mise en abyme impitoyable du monde du musical. Cocktail vitaminé, le spectacle se veut tonique et joue la carte de l’espièglerie. Le public se régale et nous aussi même si des réserves sont à émettre concernant des relents homophobes et sexistes clairement dispensables.

Le postulat de départ est osé : Max Bialystock, un producteur dans le pétrin, essaye de sauver la face en concevant une arnaque à l’assurance : créer sur les planches un spectacle indigeste (Des Fleurs pour Hitler !) avec le pire metteur en scène et une distribution de bras cassés. Sur le papier, la solution semble alléchante mais la machine va vite se dérégler.

Les Producteurs est une pièce qui détonne un peu dans l’univers des musicals. Volontiers boulevardière dans ses outrances, elle s’attarde donc sur des stéréotypes datés qui s’avèrent gênants. Par exemple, la secrétaire est forcément une blonde écervelée à grosse poitrine et godiche à souhait ; les homosexuels sont forcément maniérés, excentriques et déguisés comme les Village People. Ce mauvais goût affiché peut faire rire mais son excès en devient problématique. Il aurait fallu brider cette tendance.

Nonobstant ces excentricités mal à propos, le spectacle s’appuie sur un rythme d’enfer (sauf la fin, qui traîne en longueur) et Michalik sait imprimer une cadence soutenue. Les tableaux s’enchaînent avec fluidité, les chorégraphies sont impressionnantes d’harmonie et les qualités vocales des comédiens ne font aucun doute. Si les chansons en elles-mêmes sont loin d’être inoubliables, saluons tout de même le talent de traduction de Stage Entertainment. Les moyens sont au rendez-vous et on a vu les choses en grand. D’où cette impression réjouissante de spectaculaire revendiqué.

Plusieurs comédiens se détachent dont Serge Postigo, hilarant en producteur sans foi ni loi, gigolo de mécènes âgées et lubriques. Il se donne sur scène comme jamais. Benoit Cauden, à ses côtés, vaut aussi le détour en associé timide attaché à son doudou (!) et prenant progressivement ses aises. Les deux forment un tandem de choc. On mettra enfin en avant Roxane Le Texier et Andy Cock parfaits dans des rôles très clichés qu’ils assument jusqu’au bout.

Endiablée, la soirée dévoile ses charmes en sortant l’artillerie lourde. Amis de la subtilité, passez votre chemin. Les Producteurs offre toutefois une occasion divertissante de se changer les idées.

LES PRODUCTEURS de Mel Brooks. M.E.S. d’Alexis Michalik. Théâtre de Paris. 01 48 74 25 37. 2h. ♥ ♥ ♥

© Alessandro Pinna

Valérie Lemercier et Isabelle Gélinas dans Les Sœurs Bienaimé : je t’aime, moi non plus

Valérie Lemercier nous avait manqué sur les planches. Après Un temps de chien, elle retrouve son amie d’enfance Brigitte Buc dans Les urs Bienaimé. Jouant sur l’oxymore du titre, la dramaturge s’amuse à décortiquer les relations sororales dans une comédie honnête et efficace au Théâtre Antoine. On ne choisit décidément pas sa famille !

Imaginez le décor : une bergerie cévénole coincée au milieu de nulle part. C’est dans ce trou paumé que débarque après des années d’absence Pascale la citadine. Elle commence par retrouver Rémi, le complice de toujours mais ce n’est pas lui sa cible. La cadette rêve de renouer les liens avec son aînée Michelle mais les retrouvailles sont glaciales…

Avec sa nouvelle pièce, Brigitte Buc explore le ressort bien éprouvé des antagonismes familiaux à travers les portraits opposés de deux soeurs qui n’arrivent plus à communiquer. Pascale tente de recoller les morceaux et de proposer un nouveau départ, plus sain, à son aînée qui ne semble pas du tout réceptive. On se doute bien que derrière les piques et les vacheries se cache un amour pudique et tendre dont l’authenticité ne fait aucun doute. La dynamique entre les deux sœurs est mouvementée, pas de place à l’ennui malgré quelques longueurs. L’auteure évite le surplace et offre une évolution appréciable à cette relation dont on finit par comprendre les tenants et les aboutissants. Si la fin est cousue de fil blanc, nous ne boudons pas notre plaisir.

La pièce doit beaucoup à l’abattage de ses trois comédiens : Valérie Lemercier s’amuse en peau de vache bourrue, écorchée vive qui cache sa sensibilité derrière son allure de garçon manqué toujours pressé. On ne résiste pas à ses traits d’humour bien lancés. Face à elle, Isabelle Gélinas laisse apparaître ses failles de femme délaissée qui tente de se construire un avenir meilleur. Femme-enfant apparemment dans la bienveillance et la maîtrise, elle peut vite sombrer dans une folie douce ! D’où une palette de jeu assez étendue. Patrick Catalifo, au milieu de ce duo féminin, apporte une touche rassurante en confident bonne pâte (mais pas trop quand même). Ces trois-là se sont décidément bien trouvés !

Les urs Bienaimé de Brigitte Buc. M.E.S de l’auteur et de Gersende Michel. Théâtre Antoine. 01 42 08 77 71.1h10. ♥ ♥ ♥

© Victor Tonelli

Marina Hands et Christophe Montenez transcendent Le Tartuffe de van Hove au Français

Après Électre/Oreste, Ivo van Hove fait un retour fracassant au Français. Pour célébrer les quatre cents ans de la naissance de Molière, le dramaturge belge propose une version inédite du Tartuffe. Non censurée, elle resserre l’action autour du couple Elmire/Tartuffe et se veut plus ambigüe. Fiévreuse, sa mise en scène galvanise et souffle le chaud et le froid, entre sensualité et solennité.

Parfois, les images se suffisent à elles-mêmes. En guise de préambule, van Hove imagine l’irruption de Tartuffe dans la vie d’Orgon et de sa famille. En silence, le anti-héros est accueilli comme un nouveau Christ. Tiré du ruisseau, lavé, rincé, habillé par toute la maisonnée, le faux-dévôt renaît. Littéralement. Éloquente, cette scène de résurrection donne le ton. Tartuffe est le centre d’attention autour duquel gravitent toutes les émotions, de l’amour au mépris.

Ivo van Hove aime les cérémoniels. D’emblée, il installe une atmosphère grave où chaque mouvement est chorégraphié. La scénographie à deux niveaux de Jan Versweyveld fait sens : les comédiens, tout de noir vêtus, descendent un escalier, se placent de part et d’autre d’un tatami, se saluent puis se confrontent. Ils se préparent ainsi à entrer dans l’arène. Ritualisé, le phénomène permet de séquencer les étapes-clés de la pièce tels qu le sermon de Mme Pernelle, le duel rhétorique entre Cléante et Tartuffe ou bien la rencontre entre Elmire et l’hypocrite.

Justement, la tension vive entre ce duo essentiel est au coeur du travail de van Hove. Ce qui semble l’avoir motivé à monter cette pièce, ce sont les atermoiements d’Elmire, qui devient presque le personnage principal de l’histoire. Marina Hands, sublime, transcende son rôle et lui imprime mille couleurs. Lors de sa première apparition, elle semble succomber sous le poids de la lassitude. Petite fille grondée par sa belle-mère autoritaire, elle paraît bien frêle. Puis, elle prend de l’ampleur lorsqu’elle se retrouve seule face-à-face avec Tartuffe. Et c’est là que la mise en scène devient troublante : Elmire serait-elle prise à son propre piège ? Le dialogue tourne au corps-à-corps : la sensualité érotique est palpable car les bouches se cherchent et les corps se frôlent, se frottent. Les deux personnages sont sur le point de s’abandonner complètement. Elmire est-elle en pleine maîtrise de ses moyens et prouve-t-elle ainsi ses talents de comédienne ou bien chavire-t-elle malgré elle en sentant ses défenses la quitter ? Van Hove ne tranche jamais et laisse au public le soin de se forger sa propre opinion.

La scène de la table est sur ce point aussi édifiante : constamment en mouvement, elle traduit une bascule entre répulsion (Elmire dégage les mains baladeuses de Tartuffe de son corps) et abandon presque total. Simulation ou jouissance réelle ? On en sort épuisés, comme le duo.

Quant à Tartuffe, le choix de Christophe Montenez était une évidence. Souvent distribué dans des rôles complexes, à double visage, le comédien fait ici des étincelles. Ce Tartuffe, déjà, est séduisant physiquement. Si van Hove commence par le présenter entièrement nu, sous toutes les coutures, ce n’est pas seulement pour symboliser une renaissance christique. C’est aussi pour que le public prenne toute de suite conscience que ce personnage est un bel homme qui possède les moyens de séduire tout le monde : homme, femme, vieux ou jeune. Et la fascination opère : gueule d’ange à la voix doucereuse, suave, Christophe Montenez provoque du désir. Sous ses apparences humbles se cache cependant un loup qui explose de sensualité affirmée, de désir frustré qui ne demande qu’à s’accomplir. Jusqu’à provoquer de la peur. Il n’y a qu’à voir Elmire tentant de se protéger le corps avec ses mains. La luxure gourmande et effrénée de l’imposteur peut se déchainer. Jusqu’à ce qu’il reprenne le contrôle. Le duo que le comédien forme avec Marina Hands est merveilleux de trouble, d’ambiguité. Ils se cherchent en permanence. Pour van Hove, la jeune femme éprouve clairement des sentiments pour Tartuffe. La scène finale, dérangeante, va d’ailleurs jusqu’au bout de cette idée.

Les autres comédiens ne déméritent pas : Denis Podalydès est hilarant en pitoyable pantin ; Julien Frison campe un Damis plein de fougue ; Loïc Corbery en impose en Cléante rationnel ; Dominique Blanc s’amuse en servante impertinente et perspice et Claude Mathieu impressionne en mère intransigeante et bornée.

Par un jeu de miroirs intelligent, van Hove démontre que la vie est un cycle cruel : la renaissance liminaire de Tartuffe entre en écho avec la mise au tombeau de Mme Pernelle, victime de son entêtement. La double cérémonie de purification s’augmente aussi d’un parallèle entre le dépouillement initial et ultime de la scène. Venu combler un vide chez Orgon, Tartuffe part en emportant tout sur son passage. Ne restent que les fleurs que l’on jette en hommage à la maîtresse de maison. La pièce aurait pu s’arrêter là mais van Hove termine son spectacle sur une pirouette un brin provocatrice. Nous n’en dirons pas plus mais vous risquez d’être surpris.

Pari réussi pour van Hove : sa mise en scène captive et propose des choix audacieux qui ne plairont pas à tout le monde mais qui nous ont conquis.

LE TARTUFFE OU L’HYPOCRITE de Molière. M.E.S d’Ivo van Hove. Comédie-Française. 01 44 58 15 15. 1h45. ♥ ♥ ♥ ♥

© Jan Versweyveld

Sarah Kane fait son entrée au Français

Événement au Français. Sarah Kane est programmée pour la première fois dans la maison de Molière. Simon Delétang a répondu présent à la carte blanche d’Éric Ruf et a choisi de se confronter à Anéantis, la première pièce de la dramaturge anglaise. Un défi en partie relevé mais qui manque de mordant et de chair.

Dans Anéantis, le besoin d’aimer et d’être aimé se heurte sans cesse à une forme de violence exacerbée. Divisée en deux parties distinctes, la pièce se centre d’abord sur la relation houleuse entre Ian, journaliste cynique, alcoolique et malade et Cate, femme-enfant bègue et épileptique. L’homme, plus âgé, éprouve une jubilation sadique à rabaisser son amante. Sous emprise, Cate résiste tant bien que mal aux assauts aussi bien verbaux que physiques mais leurs rapports sont clairement déséquilibrés. La brutalité domestique se retrouve brusquement élargie lorsqu’une explosion se fait entendre. Un soldat débarque dans la chambre d’hôtel du couple et prend en otage Ian. Devenu par la force des choses son confident, le reporter local se transfome en réceptacle des atrocités commises en temps de guerre. Bouleversée par la guerre de Yougoslavie, la dramaturge a décidé d’inclure cet événément sanglant dans l’écriture de sa pièce.

Toute pièce de Sarah Kane est une gageure de mise en scène. Entre hyperréalisme cru et onirisme troublant, son théâtre pose notamment la question de la représentation de la violence. Comment rendre compte d’exactions aussi barbares que les viols, les énucléations ? Comment suivre les didascalies sexuelles sans tomber dans la démesure ?

Simon Delétang opte pour une stratégie élégante : en confiant les didascalies à une voix off féminine, il joue sur une distanciation maligne permettant à la violence de se dérouler hors champ, par l’imagination du public. Tout est soufflé par la voix ; les comédiens, eux, se lancent dans une chorégraphie qui suggère plus qu’elle ne montre. Cette astuce se révèle cependant à double tranchant : la froideur clinique du procédé, sa répétition engendre un mécanisme répétitif annoncé d’ailleurs par un air musical.

L’ensemble souffre donc d’un déficit de chair, d’incarnation, de passion. Si le metteur en scène évite avec soin la surenchère démonstrative, il tombe dans le travers inverse : un manque de feu. Au niveau de l’interprétation, Élise Lhomeau s’en sort bien dans le rôle difficile et ambigu de Kate. Christian Gonon, lui, aurait pu aller plus loin dans le cynisme. L’accent a été mis sur son côté « pauvre type ». Enfin, Loïc Corbery est plutôt convaicant en soldat ravagé par les traumatismes de la guerre. L’alchimie entre le trio d’acteurs a cependant du mal à prendre.

Côté scénographie, l’œil est attiré par la belle chambre d’hôtel luxueuse rouge sang/passion ornée de tableaux de nus antiques. Si l’espace du Studio-Théâtre est assez restreint, le décor, tout en longueur, donne plutôt l’impression de confort. Simon Delétang est parvenu à retranscrire le dépouillement progressif du décor avec intelligence. Par un système de persiennes, la chambre se mue en No Man’s land. L’éclosion finale d’un tournesol offre un moment de poésie et d’espoir, symbolisé aussi par Cate, la croyante.

Si nous n’avons pas été « anéantis » par cette mise en scène, la proposition de Simon Delétang est à saluer.

ANÉANTIS de Sarah Kane. M.E.S de Simon Delétang. Comédie-Française. 01 44 58 15 15. 1h10. ♥ ♥ ♥ 

© Christophe Raynaud de Lage

Michel Fau et Amanda Lear : harpies de choc à la Porte Saint-Martin

Attention, les harpies sont de sortie ! Maître de l’extravagance, Michel Fau se transforme en Bette Davis et mène la vie dure à Amanda Lear, délicieuse en Joan Crawford. Au Théâtre de la Porte Saint-Martin, le duo enflamme la scène et se chamaille avec délectation. On adhère !

Les crêpages de chignon possèdent toujours ce je ne sais quoi de piquant et d’addictif. Quand les noms d’oiseaux volent au-dessus de nos têtes, les oreilles se tendent et on se demande jusqu’où le conflit va aller. Ici, deux egos surdimensionnés s’affrontent : d’un côté, Bette Davis dont la notoriété s’essouffle et d’un autre côté, Joan Crawford, affolée par le déclin de sa jeunesse. Deux femmes au tournant de leur vie, en perte de vitesse, sont ainsi réunies à l’affiche de Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? dans l’espoir de reconquérir leur public.

Michel Fau et Amanda Lear, quelle affiche ! Les deux font décidément la paire. C’est un réel plaisir de les entendre s’échanger des mots fleuris. Michel Fau, odieuse, jure comme un charretier avec délectation tandis qu’Amanda Lear se la joue vamp condescendante. Leurs mimiques, leurs intonations, leurs excès galvanisent la foule. Une complicité évidente se dégage de nos deux vipères qui se ressemblent finalement bien plus qu’elles ne s’opposent. Ce dont elles se rendront compte lors d’un épilogue touchant.

Dans le bel écrin bicolore de Citronelle Dufay, Michel Fau s’emploie à faire fuser les répliques, très enlevées. Le metteur en scène souligne le tempérament volcanique de ces deux actrices, leur répartie tout en dévoilant leur part de vulnérabilité. L’éclairage sculpté de Joël Fabing apporte une touche de glamour hollywoodienne.

QU’EST-IL ARRIVÉ À BETTE DAVIS ET JOAN CRAWFORD ? de Jean Marbeuf. M.E.S de Michel Fau. Théâtre de la Porte Saint-Martin. 01 42 08 00 32. 1h. ♥ ♥ ♥ ♥

© Christophe Martin

Enchantement créole au Studio-Théâtre

Comme chaque année, le Studio-Théâtre nous régale avec une adaptation jeune public de grande qualité. Le cru 2021 met en lumière Hansel et Gretel. Le conte sombre des frères Grimm se colore de reflets créoles dépaysants. D’origine haïtienne, Rose Martine s’approprie avec malice et intelligence ce classique de la littérature enfantine. Un voyage en terre (in)connue qui mérite le détour.

Sur le plateau, la forêt touffue a laissé place à un univers végétal à l’abandon : sol sec et craquelé, squelette d’arbre couché configurant une ossature dérisoire de maison. Cet environnement désertique entre en résonance avec la situation désespérée d’une famille en proie à la famine. Refusant de voir mourir leurs jumeaux à petit feu, un bûcheron et sa femme décident à contrecoeur de les abandonner au plus profond des bois. Comment survivre sans l’aide bienveillante de ses parents ? Cette épreuve initiatique va conduire les enfants à la maison d’une vilaine sorcière anthropophage…

De cette histoire connue de tous, la metteure en scène introduit des variations qui entraînent le conte dans une autre dimension, plus exotique. Tout d’abord, le choix d’un conteur comme maître de cérémonie donne un fil rouge à l’ensemble. Gaël Kamilindi se glisse avec aisance dans le costume « hutte africaine ». En véritable trublion, il commente, danse, vérifie que le public est bien réveillé. Une tornade ! Quant à la sorcière, pas de nez crochu ou de balai ! Julie Sicard porte une superbe robe bariolée avec un chapeau-yeux du plus bel effet ! L’inspiration vaudou est ainsi clairement palpable. La comédienne s’amuse comme une folle en mégère sadique à la voix effrayante ! Des chansons créoles, parenthèse sonore bienvenue, égaient la représentation.

Pour incarner les enfants, Rose Martine a fait appel à deux jeunes pensionnaires fraichement arrivés dans la maison : Claïna Clavaron et Birane Ba rivalisent d’ingénuité jamais mièvre et s’engagent à fond dans leur rôle. Une belle solidarité les unit. Sylvia Bergé et Gilles David campent un couple émouvant, navré d’en arriver à de telles extrêmités.

Avec sa version très personnelle d’Hansel et Gretel, Rose Martine confirme donc l’adage expliquant que les contes renferment toujours en eux une part éternelle de réinvention et de réappropriation.

HANSEL ET GRETEL d’après les frères Grimm. M.E.S de Rose Martine. Studio-Théâtre. 01 44 58 15 15. 1h10. ♥ ♥ ♥ ♥

© Vincent Pontet

Splendeurs et misères des ouvrières au Vieux-Colombier

Pour sa rentrée au Vieux-Colombier, le Français propose une pièce sociale, dans l’air du temps, qui donne la parole à un groupe d’ouvrières bien décidées à sauver leur emploi dans un contexte économique tendu. Avec 7 Minutes, Maëlle Poésy offre une mise en scène nerveuse et palpitante et plonge le public dans un dispositif bifrontal, idéal pour appréhender les réactions de cet essaim de femmes ébranlées dans leurs convictions.

Que représentent sept minutes dans une journée de travail ? Rien apparemment. Des broutilles. Pourtant, ce laps de temps presque insignifiant va provoquer la discorde. Dans un espace indéfini, entre local de stockage et lieu de pause, dix membres du Comité d’usine de Picard & Roche s’impatientent. Blanche, leur porte-parole, est très attendue : cela fait des heures qu’elle parlemente avec les dirigeants de l’entreprise afin d’éviter la faillite. Une fois revenue parmi ses collègues, elle leur annonce une bonne nouvelle : tous les emplois sont maintenus. Mais il y a un mais. En contrepartie, les patrons demandent à leurs employées de réduire leur temps de pause de quinze à sept minutes. Une aubaine pour les dix femmes mais Blanche se montre plus réservée : céder sur ce minuscule point, c’est ouvrir le champ à d’autres abus. Le temps presse : le membres ont une heure pour faire savoir si elles acceptent ou non cette clause. Que faire ?

Le spectateur se retrouve happé, presque pris en otage car la pièce repose finalement sur le pouvoir de conviction de la parole. Blanche va-t-elle réussir à renverser la vapeur et à rallier à sa cause le reste de la troupe ? Véronique Vella, tout en nuances, apporte délicatesse et révolte à son jeu. Toujours à l’écoute, elle prend même des allures maternelles. C’est elle qui brille malgré le talent indéniable de ses camarades. 7 Minutes, partition chorale, donne effectivement à réfléchir sur le sens du collectif, sur la notion de choix, sur la tension entre les aspirations individuelles forcément égoïstes et la force du groupe.

Maëlle Poésy retranscrit avec fougue et fièvre ce théâtre de l’urgence. Pas d’esbroufe, juste le jeu au coeur de la mise en scène. Onze comédiennes, d’âge, de statut et de parcours différents, cohabitent au sein d’un même espace et se donnent la réplique avec énergie. On admire la sagesse vénérable de Claude Mathieu ; on se délecte de la rage de Françoise Gillard ; on apprécie la fraîcheur de Séphora Pondi, toute nouvelle pensionnaire ; on adore toujours autant la spontanéité d’Anna Cervinka. La langue, très ancrée dans le réel et le quotidien d’aujourd’hui, renforce l’illusion théâtrâle. Les échanges, tels un ping-pong, insufflent du rythme à l’ensemble. Emporté dans ce tourbillon verbal et ces retournements de situation, on souhaite évidemment savoir l’issue du vote, qui révèlera quelques surprises…

7 Minutes de Stefano Massini. M.E.S de Maëlle Poésy. Théâtre du Vieux-Colombier. 01 44 58 15 15. 1h30. ♥ ♥ ♥

© Vincent Pontet

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