Candide au théâtre ? La promesse est belle et ambitieuse. Désireux de vivre cette aventure depuis une dizaine d’années, Arnaud Meunier concrétise son rêve et offre une expérience de troupe galvanisante au Théâtre de la Ville. Le mordant du philosophe des Lumières transparait avec éclat sur scène.
Un dépouillement chirurgical accueille les spectacteurs avant même le lever de rideau. L’espace surprend par son vide. Seul un immense cadre souligné par des néons rejaillit : une manière de symboliser la page d’un livre ouvert au public d’où sortiraient les personnages ? Le metteur en scène fait confiance à la puissance du texte voltairien et fait le choix d’une épure judicieuse. C’est l’imagination de l’auditoire qui s’active et recrée tous les périples du pauvre Candide bringuebalé de continent en continent. Un usage raisonné de la vidéo, de beaux costumes et perruques d’époque, un voile évocateur et quelques chansons suffisent à faire illusion.
Si le décor est volontairement sobre, l’habillement musical prend du galon et impose sa présence. Avec Matthieu Desbordes à la batterie et Matthieu Naulleau au piano, ça déménage ! La musique, tantôt malicieuse, tantôt solennelle, entre en harmonie avec les situations et rythme le tout.
D’une fluidité remarquable, l’adaptation d’Arnaud Meunier se suit avec plaisir. Les comédiens parlent de leur personnage à la troisième personne, ce qui peut désarçonner de prime abord mais contribue à une mise à distance appréciable, soulignant ainsi les talents de conteurs de l’équipe entière. S’appuyant sur une impressionnante distribution, le spectacle peut compter sur des acteurs au diapason. Citons-les tous, à commencer par Romain Fauroux, grande tige souple et benêt sensible. Son aura inspire immédiatement la sympathie. Manon Raffaelli, Cécile Bournay, Philippe Durand, Gabriel F., Nathalie Matter, Stéphane Piveteau et Frederico Semedo complètent le tableau.
Il se dégage de l’ensemble une vraie gourmandise de jouer, de partager, de s’approprier la prose de l’écrivain des Lumières. Les tableaux s’enchaînent, tels des pages qu’on tourne et qu’on dévore. Certains épisodes retiennent plus l’attention que d’autres : on pense aux histoires de Cunégonde et de la Vieille qui ont vécu l’Enfer ou bien au voyage dans le pays enchanté de l’Eldorado avec ses habitants si hospitaliers. Si certains extraits s’avèrent verbeux et supportent moins le passage sur les planches, force est de constater que la force des mots et l’enthousiasme contagieux de la troupe renversent tout sur leur passage. L’ironie de Voltaire n’a en rien perdu de sa vigueur. Combattre les préjugés, quels qu’ils soient, avec humour et férocité, est toujours d’actualité. Merci pour ce souffle ludique, frais et entraînant !
CANDIDE de Voltaire. M.E.S d’Arnaud Meunier. Théâtre de la Ville. 01 42 74 22 77. 2h. ♥ ♥ ♥ ♥
© Sonia Barcet