Recherche

Hier au théâtre

Mois

septembre 2015

Norah Krief, muse shakesperarienne

Pétrarque aimait Laure ; Ronsard était fou de Cassandre et Shakespeare raide dingue de… Norah Krief. Désireuse de pousser la chansonnette depuis longtemps, la comédienne s’improvise rock star avec une fureur poétique électrisante. Déchaînant une foule en liesse, la muse aux boucles folles célèbre l’inconstance du monde une heure durant à travers une vingtaine de sonnets sélectionnés parmi les poètes du grand Will.

Bustier rouge glamour et pantalon noir fluide : silhouette androgyne pour Norah Krief, petit bout de femme au regard malicieux et séducteur. Entourée de trois troubadours nerveux et complices (Philippe Floris à la batterie ; Frédéric Fresson au piano et Philippe Thibault à la basse), la poétesse s’est montrée particulièrement perspicace dans le choix des sonnets évoquant tout bonnement le cycle de la vie. De l’innamoramento au rejet, de l’ivresse de l’amour fou à la solitude et à la vieillesse, Norah Krief traverse l’existence avec une présence hallucinante.

Performance protéiforme
Dans un boudoir baroque envahi par des miroirs d’artistes et des tapis orientaux, la chanteuse se métamorphose à son gré en diva sexy, en farfadet alcoolisé ou en amante désabusée. À chaque incarnation correspond un style musical : world music, tribal, ballade et rock bien sûr. Ces Sonnets retrouvent leur pouvoir rythmique performatif et le passage de la lecture à la scène permet de saisir avec émerveillement les possibilités multiples de scansion.

Fée mutine, Norah Krief rend ainsi hommage à Shakespeare avec une énergie folle. Épaulée avec doigté par Richard Brunel, elle chante l’universalité des émotions telle une sirène ensorcelante. Et nous berce d’une mélodie survoltée et douce-amère. ♥ ♥ ♥ ♥

SONNETS de William Shakespeare. M.E.S de Richard Brunel. Théâtre de la Bastille. 01 43 57 42 14. 1h10.

© Jean-Louis Fernandez

La traversée comico-morbide de Clément Koch

Avouez qu’une histoire de scandale pharmaceutique dans une maison de retraite en Suisse ne semble pas bien engageante au premier abord. Le jeune Clément Koch parvient pourtant à tisser une comédie dramatique percutante sur la mort et la solitude avec De l’autre côté de la route. Au Théâtre Michel, Didier Caron insuffle une fluidité pleine de suspense et de tendresse à cette traversée touchante de la vieillesse.

La vie d’Eva Makowski change le jour où elle reçoit la visite de Michelle Lombard, une mystérieuse journaliste. Ancienne chimiste de renom, la retraitée s’aperçoit avec effroi que ses vieux démons remontent à la surface… Une affaire sordide de laboratoires louches ayant vendu sciemment des médicaments provoquant la stérilité jettera le feu aux poudres entre les deux femmes avant de les réconcilier dans une cause commune, l’exigence d’une réparation.

Divertissement et drame main dans la main
De ce canevas digne d’un feuilleton télé, Clément Koch s’illustre en évitant le pathos lié à de lourds secrets de famille. Il préfère plutôt centrer ses réflexions sur la fin de vie et le trauma en brandissant l’écu de l’humour anti-morose.

Didier Caron, lui, concilie émotion et détente avec un art consommé de l’entre-deux. Constamment sur le fil, le directeur des lieux sait faire confiance à ses comédiens et désamorce tout effet superflu. Le jeu ultra solide et nuancé de la petite troupe suffit à alimenter la mise en scène, sobre et alerte.

Les deux rôles principaux d’écorchées vives s’avèrent confondants de justesse. Maaïke Jansen mène la barque en scientifique suicidaire avec une autodérision morbide mordante tandis que Laurence Pierre s’impose en femme pugnace. La complexité de leur relation (mère/fille de substitution, ennemies, amies) irrigue tout le spectacle et donne beaucoup de sel à leur interprétation.

Les seconds rôles entourent à merveille le tandem de choc : Dany Laurent se montre impayable en voisine espionne raffolant de pâtes de fruits ; Maïmouna Gueye apporte un soleil vitaminé à la pièce en femme de chambre envahissante et bienveillante et Gérard Maro offre le contre-point masculin ingrat en directeur pharmaceutique lâche et sans scrupules.

Exemple typique d’une excellente surprise, De l’autre côté de la route constitue un gros coup de cœur dont il serait bien dommage de se priver. L’union parfaitement dosée entre comédie et drame empêche la pièce de sombrer dans une quelconque caricature et permet aux cinq comédiens d’interagir avec un abattage tout à fait remarquable. ♥ ♥ ♥ ♥ ♥

DE L’AUTRE CÔTÉ DE LA ROUTE de Clément Koch. M.E.S de Didier Caron. Théâtre Michel. 01 42 65 35 02. 1h40.

© Franck Harscouët

Axelle Laffont, girl next door hypersensible

Un passage éclair. L’impression d’avoir eu une hallucination, mais non. Axelle Laffont court bel et bien sur la scène du Petit-Saint-Martin, un gode-ceinture attaché autour de sa taille en guise d’apéritif. À l’image frappadingue de sa créatrice de retour au théâtre après dix ans d’absence, Hypersensible mène par le bout du nez son public avec une tchatche d’enfer et un survoltage de tous les instants.

Même les plus jeunes se souviennent des apparitions dénudées (elle a d’ailleurs remis le tapis pour la promotion du spectacle) de l’ancienne Miss-Météo et de son assurance canaille de polissonne provoc’. Les années ont passé, pas son énergie de pile électrique.

Pourtant, l’apparition de nuages grandeur nature en guise de décor aurait pu suggérer un certain apaisement. Ce serait sans compter les innombrables sources de plainte de la brindille entre un mec volage et lourdaud et des copines pas bien fut-fut.

Superwoman MILF
Présentant l’hypersensibilité comme un super-pouvoir, Axelle Laffont dresse un portrait aussi potache que décalé de ses sensations démultipliées bien lourdes de conséquences : de la parano au restaurant suite à une prétendue voisine espionne qui voudrait piquer le futur rôle de la belle en passant à la déconfiture suite à la révélation du vrai prénom de son nouveau copain (clairement, Hugo rend mieux que Jean-Jacques), les jeux trop arrosés entre trentenaires ou la difficulté à entretenir une relation saine avec son co-auteur, la girl next door multiplie les gaffes avec une ténacité désarmante.

N’hésitant pas à faire preuve d’autodérision sur son âge, la MILF se plaît à jouer les aguicheuses tout en se moquant des « puputes décérébrées » que constituent les demoiselles de vingt ans. On sent le terreau autobiographique verdoyer sur scène mais souvent de manière implicite.

L’autre auto-parodie (le sketch sans doute le plus réussi), fonctionnant comme un running gag, se centre sur le narcissisme engendré par les réseaux sociaux. Si vous saviez comme un simple riz au lait peut attirer les commentaires en masse… Axelle Laffont exploite jusqu’à l’absurde les dérives de la surexposition de la vie privée.

Charles Templon, lui, insuffle rythme et dynamisme à ce one woman généreux à l’habillage lumineux léché. Fraîche comme une nymphe immortelle charmant un pauvre mortel, l’humoriste verse dans du trash débridé et tellement jouissif. Elle aligne les blagues de sexe comme on liste ses courses au supermarché, les vannes fusent et le public prend cher (les ex aussi). On se sent bien en compagnie d’Axelle, une bonne copine qu’on rêverait d’avoir comme voisine pour prendre le thé avec elle et se raconter nos histoires… d’hypersensibles ! ♥ ♥ ♥ ♥

HYPERSENSIBLE d’Axelle Laffont. M.E.S de Charles Templon. Théâtre du Petit-Saint-Martin. 01 42 08 00 32. 1h20.

Les charmes désuets d’Irma la Douce

Grand amateur de comédies musicales, Nicolas Briançon réalise son rêve de gosse en s’emparant d’Irma la douce à la Porte-Saint-Martin. Reléguée aux oubliettes sur la scène hexagonale, cette plongée pittoresque dans le Paris des années 50 se révèle haute en couleurs.

Au Cabaret des Inquiets, la tenancière Maman surveille attentivement l’idylle naissante entre sa protégée Irma la Douce, une prostituée au grand cœur et Nestor le Fripé, un voyou pseudo-lettré de seconde zone. Frappé de jalousie, l’apprenti maquereau manigance un stratagème vicieux : il se fait passer pour Monsieur Oscar, un richissime client afin de sonder la « fidélité » de sa belle. Sauf que ce plan apparemment si bien huilé se retournera contre son inventeur…

Retour vers le passé
Si Alexandre Brefort célèbre la France d’après-guerre dans un livret contemporain à cette époque d’insouciance et de festivités, l’enchantement nostalgique fonctionne à plein tube soixante ans plus tard : langage titi plein de gouaille ; Paris carte postale avec Montmartre en toile de fond, accordéon à tout va…

Nicolas Briançon ne cherche pas à faire dans l’épate bien que « musical show » soit mentionné sur les affiches. Loin du chic du Châtelet, le metteur en scène embrasse l’esthétique de pacotille de la comédie musicale à travers un décor cheap se contentant du nécessaire. Il conserve la présence extérieure de Maman, narratrice extravagante et narquoise incarnée par une Nicole Croisille absolument royale en meneuse de revue à l’aise dans ses talons hauts et son leggings léopard.

Reine du bal, elle est secondée avec malice par le couple vedette Marie-Julie Baup et Lorànt Deutch. Si la première distille une fraîcheur incontestable et possède un joli grain de voix, le second touche dans le mille en mari obstiné et maladroit malgré des fragilités évidentes dans le chant. Époux à la ville comme sur les planches, ils délivrent un jeu complice et tendre à croquer.

Quelques notes discordantes s’élèvent toutefois, à commencer par les faiblesses du livret tiré par les cheveux (la seconde partie centrée sur l’évasion de Nestor, suite à son arrestation pour le meurtre de Monsieur Oscar se révèle plus enlevée) ; d’autre part, un problème de sonorisation entrave sérieusement l’écoute des chansons. Systématiquement, l’orchestre couvre les voix au moment où la musique se met en branle d’où une incompréhension frustrante des paroles.

Dernier point négatif et pas des moindres : la sous-exploitation de deux pépites de la scène française des comédies musicales. Si le génial Andy Cocq (toujours aussi délirant dans ses rôles de folle ultra maniérée) possède un solo rythmé à souhait ; la pétulante Claire Perot sert littéralement de plante verte deux heures durant. Quel immense gâchis de la voir en choriste alors qu’elle aurait fait une Irma du tonnerre…

Nicolas Briançon signe donc une production fort sympathique, fleurant bon le plaisir régressif. Emportée par une belle troupe, cette Irma la Douce devrait satisfaire les amateurs de comédies musicales éloignées de tout clinquant et reposant sur une simplicité en toc loin d’être désagréable dans ce format souvent trop bien millimétré. ♥ ♥ ♥

IRMA LA DOUCE d’Alexandre Brefort. M.E.S de Nicolas Briançon. Théâtre de la Porte-Saint-Martin. 01 42 08 00 32. 2 h.

© Pascal Victor

Desplechin dans la spirale tamisée de la guerre des sexes

Un lourd poids pèse sur les épaules d’Éric Ruf. Attendu au tournant pour son premier mandat en tant qu’administrateur de la Comédie-Française, il sort le grand jeu avec Père d’August Strindberg. Ouvrant le bal de la saison salle Richelieu, ce combat intellectuel sur fond de guerre de sexes s’avère orchestré avec une rigueur classique par le cinéaste Arnaud Desplechin, ravi de transposer sa pièce fétiche sur scène.

De l’orage dans l’air entre Laura et son mari le Capitaine Adolphe… Bertha, leur pauvre fille, devient l’enjeu principal de leur confrontation : tandis que le père souhaite délivrer son enfant de l’ambiance étouffante d’une maisonnée religieuse, la mère entend la couver indéfiniment. Qui remportera cette bataille de l’éducation ? Un déséquilibre flagrant se profile lorsque Laura laisse sous-entendre qu’Adolphe ne serait peut-être pas le père de Bertha et fait passer pour fou son époux…

Enfer conjugal trop sobre
Tragédie de la paternité, Père s’inscrit dans la mouvance naturaliste chère à Zola en disséquant la vie de couple sous l’angle d’une cristallisation sujette à caution : l’éducation apparaît en effet comme un prétexte fallacieux sous-tendant une lutte intestine bien plus conséquente. Qui de l’homme ou de la femme s’imposera ?

Avec Strindberg, le débat semble ouvert et bien sournois. Misogyne patenté, le Suédois dénonce l’institution du mariage comme infailliblement castratrice et sacrificielle pour l’homme alors que dans le même temps, il croque un portrait de femme à la Merteuil, odieuse et pathétique, perverse à souhait et finalement victorieuse de ce combat sans merci. Bien que les revendications féministes soient pleinement légitimes, les moyens mis en oeuvre pour les acquérir ne brillent pas par leur honnêteté. Strindberg marche comme un funambule, louant l’intelligence calculatrice de son personnage féminin tout en condamnant son implacable ambition.

Le flair d’Arnaud Desplechin a su réunir un couple harmonieux dans ses violentes dissonances : Michel Vuillermoz s’enfonce avec une crédulité enfantine dans la démence : de pater familias inflexible, il se prend à son propre piège et dévoile une fragilité désarçonnante de dépossession. Anne Kessler surprend en agneau machiavélique : la comédienne d’un naturel si délicieusement piquant et insouciant se révèle glaçante en mythomane opportuniste. Le contraste entre son hypocrisie mielleuse et sa volonté de fer s’incarne merveilleusement sur ses traits bien qu’elle gère plus maladroitement les instants purement émotifs (comme celui terrible où elle avoue à son mari qu’elle l’aime en tant que mère et pas comme épouse). Martine Chevallier, elle, instaure une respiration bienvenue d’amour sincèrement maternel en nourrice complice.

Arnaud Desplechin insiste sur l’aspect thriller psychologique du drame. Les lignes de tension sont clairement tracées ; l’ambiance tamisée traduit subtilement le conflit en sourdine entre le couple et la présence d’esprits hantés dans l’immense bibliothèque-bureau du Capitaine-savant. Cependant, la vision du cinéaste rejaillit d’une façon trop discrète pour être pleinement personnelle : plus de risques, de partis pris de mise en scène plus audacieux, moins calqués à la pièce de Strindberg auraient rendu l’affaire plus dynamique. Le résultat vire parfois dangereusement dans le pathos même si Desplechin, en bon commandant de bord, réussit à redresser à temps la barre.

Si Ruf peut se targuer d’avoir inauguré sa saison avec un grand nom du cinéma, le passage sur scène peut lisser la singularité d’un tel artiste. Tel est le cas de Desplechin, qui malgré un travail tout à fait honorable porté par un duo d’acteurs à l’alchimie bouillonnante évidente, ne parvient pas à imposer sa patte. Ne boudons néanmoins pas notre plaisir, ce Père se savoure comme un bon Hitchcock rempli d’un suspense démoniaque. ♥ ♥ ♥

PÈRE d’August Strindberg. M.E.S d’Arnaud Desplechin. Comédie-Française. 08 25 10 16 80. 1h55

© Vincent Pontet

Innamoramento testostéroné dans les vestiaires

Qui n’a jamais eu le fantasme d’un dérapage dans les vestiaires ? Odeurs d’aisselle, de slip sale, convivialité sportive, érotisme latent… Sortez vos brumisateurs, la température monte d’un cran au Rond-Point ! Tournant dans le monde entier depuis presque dix ans, Un poyo rojo dégouline de moiteur argentine et questionne sans détour notre rapport à la virilité. On vous prévient, vous sortirez tout émoustillés de cette danse musclée.

Un duo d’athlètes s’échauffe vigoureusement tandis que le public pénètre dans la salle Tardieu. Puis les hostilités commencent : on se jauge, on teste ses limites, on cherche à se dépasser. Le sport, terrain rêvé de compétition, enclenche une parade de séduction enfiévrée et provocante.

Moiteur argentine
Hermes Gaido orchestre ce ballet burlesque et bourré d’hormones avec une intensité indéniable. Marcels trempés, Alfonso Barón et Luciano Rosso tentent de s’apprivoiser, s’attirent et se repoussent, essayent de conclure avec une tension sexuelle aussi hilarante qu’excitante. Leurs mouvements graciles, d’une troublante féminité, désamorcent les clichés liés à la représentation de la virilité. Les deux Argentins barbus et velus n’hésitent pas à se lancer des œillades. Au cours d’un déshabillage caliente laissant apparaître leur physique très avantageux, le tandem dévoile une chorégraphie humide qui contamine sensuellement toute l’assemblée…

Pour corser encore davantage ce coup de foudre, un troisième personnage s’invite à la fête : une radio en direct se joue du hasard pour dynamiser le spectacle et le résultat est étonnant ! On entend ainsi des commentaires à propos d’un match de rugby opposant les All Blacks aux… Argentins.

Lutte sans parole, Un poyo rojo charme les sens et donne furieusement envie de se rendre dans les vestiaires et de se lancer à corps perdu dans un troublant combat de coqs. Vous y laissez volontiers des plumes. ♥ ♥ ♥ ♥

UN POYO ROJO d’Hermes Gaido, Alfonso Barón et Luciano Rosso. M.E.S d’Hermès Gaido. Théâtre du Rond-Point. 01 44 95 98 21. 50 min.

© Paolo Evelina

Nicole Genovese redonne ses lettres de noblesse au boulevard

Et si finalement la subversion au théâtre lorgnait du côté du boulevard ? Redorant le blason de ce genre déconsidéré, Nicole Genovese se moque de l’intellectualisation tenace opérée par les garants de la vérité sur les planches. Crée à la Loge, Ciel ! Mon placard revendique un « spectacle inutile, et probablement grossier pour certains » qui lutte pour le plaisir et le divertissement. Profondément ludique, son hommage superpose tous les codes du vaudeville dans un feu d’artifice gaguesque et réflexif. Au Rond-Point, gare aux maîtresses têtues !

Dada Courte-En-Bière est excitée comme une puce : on inaugure aujourd’hui les Galeries Lafayette et cette mondaine adultère désire ardemment être de la partie. Sauf que Maxime, son époux, doit partir fissa à Rome suite à un télégramme l’enjoignant de rejoindre sa mère mourante. Prétexte commode pour avoir le champ libre et cocufier sa femme en toute impunité.

Boulevard au carré
Dans cette ambiance zolienne, Nicole Genovese accumule tous les poncifs du genre, à un point tel que le boulevard en devient irrésistiblement parodié. Biberonnée au Théâtre ce soir, la metteur en scène claque les portes à tout va, utilise évidemment le placard comme un objet-totem absurde et indispensable, mêle une histoire de crime à des chassés-croisés amoureux vertigineux. La sauce prend car la dimension métathéâtrale de la pièce saute aux yeux : la caricature apparaît tellement outrée que la charge comique du boulevard se retrouve multipliée par deux.

Nicole Genovèse n’oublie pas d’insérer des chansons originales en ayant recours à une « chanteuse finlandaise » fantasque : tel un diable à ressort, elle surgit de son armoire magique et déboulonne tout sur son passage. La mezzo-soprano Marion Gomar conquiert l’espace comme un walkyrie triomphante.

Avec une distribution homogène (mention spéciale à Angélique Zaini, délirante fillette aguicheuse ; Renaud Boutin, mari dépassé par les événements et un brin maniéré ; Sébastien Chassagne, amant surexcité et bien sûr Nicole Genovese, impayable bourgeoise narquoise et virago), Ciel ! Mon placard enchaîne les bons mots et les situations délirantes tout en proposant une réflexion en action sur le genre du boulevard. À ne pas rater. ♥ ♥ ♥ ♥

CIEL ! MON PLACARD de Nicole Genovese. M.E.S de Claude Vanessa. Théâtre du Rond-Point. 01 44 95 98 21. 1h30.

© D.R.

Yann Collette, tendre misanthrope

Le métro, ce labyrinthe urbain… Souvent bondé, il regorge d’individus en tout genre : hommes d’affaires, étudiants, clochards, mamans pressées. Lieu interlope, ce mode de transport plébiscité par la foule, il recèle également des marginaux égarés en quête de pureté.

Dans Souterrain Blues, Peter Handke réinvestit la figure du misanthrope dans un cadre contemporain toujours aussi individualiste. Sauf qu’à la différence du modèle moliéresque entouré d’une cour d’« amis », notre exclu se consume dans une solitude dévorante. Poème-soliloque, cette courte pièce démontre que parler revient à ne pas sombrer dans la démence. Face à une audience indifférente, enfermée dans ses tracas quotidiens, notre harangueur apostrophe les passagers dans le but de se sentir exister.

Pierrot bourru
Bien qu’il se moque des couples, des femmes ou des faux intellectuels, le S.D.F ne verse pas dans des débordements volcaniques mais incarne paradoxalement la figure d’un malheureux en quête de rédemption. Au Studio-Hébertot, Yann Collette dévoile beaucoup de bonhomie  et de douceur dans son jeu. Son inflexion vocale, pleine de rondeur, renvoie à un désir désespéré de se faire une place et de créer une connexion avec l’autre. Pierrot tendre, Collette impose son charisme sans jamais forcer, avec un naturel évident qui force le respect.

Laure Roldàn s’empare, elle, des cinq dernières minutes avec la légèreté ailée d’un ange de la mort rédempteur et apaisant. Rôle mystérieux au possible et sujet à de multiples interrogations (amante, amie, allégorie de la Beauté), cette femme-juge permet d’effectuer une bascule judicieuse offrant une soupape de sortie bienvenue au monologue haletant du clochard.

En plus d’être un directeur d’acteurs fin et intelligent, Xavier Bazin évite avec propos le piège de la mise en scène réaliste grâce à une scénographie épurée visant à l’essentiel : une vitre sale, un néon étiré, des bruitages de rame. Cuivré et chirurgical, son travail accompagne le tandem de comédiens avec doigté. Un spectacle joué sans surprise à guichet fermé deux ans consécutifs au Off d’Avignon et qui pose enfin ses valises à Paris. Ne ratez donc pas cette occasion rêvée. ♥ ♥ ♥ ♥

SOUTERRAIN BLUES de Peter Handke. M.E.S de Xavier Bazin. Studio-Hébertot. 01.42.93.13.04. 1h15.

© D.R

Sébastien Azzopardi, maître de l’effroi gaguesque

Tremblez manants ! À l’approche d’Halloween, Sébastien Azzopardi et son comparse Sacha Danino s’amusent à détourner les codes du cinéma d’épouvante dans La Dame Blanche avec un esprit potache communicatif et précurseur. Le nouveau directeur du Palais Royal ne recule d’ailleurs devant rien pour créer une expérience immersive totale. Transformé en manoir hanté, le théâtre devient l’antre de créatures indéterminées pas très amicales. L’ambiance est plantée avant même le lever de rideau : susciter la peur dans une ambiance bon enfant. Et surprise, carton plein !

Pourtant, tout commence par une réelle frayeur… au niveau du jeu des comédiens. Malo (Arthur Jugnot) et Alice (Anaïs Delva) se réveillent après une nuit d’amour torride. Le couple adultère évoque méchamment les sitcoms has been des années 80 du style Hélène et les garçons et laisse augurer des sueurs froides pour la suite. Bien sûr, il faut toujours garder en tête l’initiative parodique d’Azzopardi qui s’inspire des plus grands films d’horreur anciens (L’Exorciste) ou récents (Insidious). Sa démarche s’avère parallèle de celle de la série hilarante des Scary Movie.

Farces et attrapes
Après cette brève parenthèse liminaire, revenons à nos moutons. Ou plutôt au cauchemar que vit Malo après avoir accidentellement renversé sa maîtresse Alice. Réincarnée en furie vengeresse (la fameuse Dame Blanche) la flamboyante sorcière est bien décidée à faire payer le gendarme de sa lâcheté.

Peut-on avoir une sacrée frousse au théâtre ? Voilà un défi plutôt corsé. L’avantage du montage au cinéma permet de concevoir un résultat plus fluide alors que la scène se situe dans un rapport d’immédiateté avec le public. C’est sur ce point qu’Azzopardi focalise son travail : il n’hésite pas à mettre à contribution les spectateurs un brin masochistes en alimentant une complicité directe entre eux et les comédiens à travers des échanges interactifs souvent très drôles.

En recyclant des effets spéciaux ultra attendus, le metteur en scène opère en magicien de farces et attrapes qui assume des tours de passe-passe a priori cheap mais justement très bien réalisés. Cette accumulation de lampes qui s’allument automatiquement, de statues animées, de cas de possession ou de tiroirs qui s’ouvrent tout seuls provoque un rire nerveux imparable.

Au niveau de l’esquisse des personnages, ceux-ci s’avèrent globalement bien dessinés et campés par des comédiens à l’évidence investis dans leur partition déjantée : saluons Michèle Garcia en mère bourrue-clocharde ; Benoît Tachoires en simple d’esprit psychopathe et Sébastien Pierre, génial en gendarme beauf et dealer de coke. Le couple principal repose quant à lui sur une dynamique plutôt harmonieuse bien que leur interprétation paraisse plus fragile (mais en même temps, le processus d’auto-dérision excuse en partie ce surjeu) : Anaïs Delva campe une amante passionnée à la crinière de feu avec un bel abattage tandis qu’Arthur Jugnot sombre dans la folie paranoïaque avec une hystérie un peu trop marquée.

Azzopardi rend donc un hommage truffé de références au cinéma d’horreur sur le mode comique sans oublier d’engendrer de belles frayeurs chez un public conquis qui hurle d’épouvante et de rire. À observer les sourires de toute la troupe lors des saluts chaleureux, il y a fort à parier que le plaisir qu’ils éprouvent à jouer se superpose au divertissement de qualité applaudi longuement par la salle. ♥ ♥ ♥ ♥

LA DAME BLANCHE de Sébastien Azzopardi et de Sacha Danino. M.E.S de Sébastien Azzopardi. 01 42 97 40 00. 1h40.

© Émilie Brouchon

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑