Affiche-RePastore

Pas de doute, Mozart aurait été éberlué face à la mise en scène de son opéra de jeunesse Il Re pastore. Très rarement montée, cette commande de 1775 a conquis Nicolas Buffe. Assisté d’Olivier Fredj, le plasticien formé aux Beaux-Arts injecte sa culture nippone d’adulescent des années 80 dans une version décapante d’un art considéré comme éminemment sérieux. Dans une démarche de démocratisation, Buffe ancre cette pastorale dans un univers manga obéissant aux codes des jeux vidéo et de l’esthétique kawaï. Mélomanes, gamers, voire les deux, vous trouverez votre bonheur au Châtelet avec cette bouffée d’air frais remplie de robots à croquer. On craque !

Il Re pastore narre les aventures d’Aminta, un pasteur guilleret épris de la belle Elisa. Dans le pays de Sidon, Alexandre le Grand est venu à bout de Straton le tyran local. Magnanime, il désire restituer le trône au roi légitime, inconnu de tous. Accompagné d’Agenor, un noble rebelle, Alexandre trouve en Aminta le roi tant cherché. Choisira-t-il le trône ou bien conservera-t-il son amour pour Elisa ? Sans oublier Tamiri, la fille du tyran, éprise d’Agenor et craignant pour sa vie.

L’éternel combat du pouvoir et de l’amour fournit un vivier inépuisable pour les artistes. Le jeune Mozart, âgé de seulement dix-neuf ans, compose une œuvre en deux actes un brin naïve et convenue mais non dénuée de fougue et de cœur.

Nicolas Buffe dynamite les étiquettes de l’opéra catalogué vieillot en y projetant ses fantasmes d’éternel ado passionné de dessins animés vintage comme Ulysse 31, Goldorak ou Albator. Le metteur en scène se fait plaisir et nous avec en offrant avec délectation cette madeleine de Proust à un public épaté. Le plus brillant dans l’histoire réside dans la cohérence et la justesse de cette superposition entre deux mondes a priori inconciliables. La Guerres des étoiles s’allie pourtant parfaitement au monde hellénistique et tous les renvois aux mangas et autres jeux vidéos ne s’avèrent jamais accessoires. L’optique ludique et déjantée souhaitée par Buffe tourne à plein régime ici. Elisa (Raquel Camarinha) arbore des oreilles de lapin et file sur sa trottinette électrique ; Alexandre (Rainer Trost) est truculent en empereur mégalo à la perruque afro blonde dans son costume doré ; Tamiri (Marie-Sophie Pollak) ressemble à une espionne SM ; Aminta (Soraya Mafi) devient un employé d’une station-service travesti et enflammé en diable ; enfin Agenor (Krystian Adam) sosie parfait de Buzz l’éclair éclate en amoureux transi.

La loufoquerie continue avec quelques effets spéciaux kitsch et délicieux : le quintette vole souvent dans les airs et se fait tripoter par des cyborgs adorables aux bras longs. Des danseurs casqués, cousins des Power Rangers et des Daft Punk, effectuent des acrobaties du tonnerre et des bruitages amusants de jeux-vidéos ponctuent les chants de nos comédiens. Bref, pas question ici de se montrer rasoir ou pédant : on ne se prend pas au sérieux et on s’amuse !

Ce Re pastore prouve donc encore une fois la volonté du Châtelet de permettre à l’opéra de rayonner dans un champ beaucoup plus large en accentuant l’accessibilité de ses spectacles. Pari relevé haut la main avec la version colorée et spatiale de Buffe et Fredj. Grands enfants comme vrais bambins y trouveront assurément leur compte. Allez-y ! ♥ ♥ ♥ ♥

© Marie-Noëlle Robert
© Marie-Noëlle Robert