Quel plaisir de retrouver Tennessee Williams sur les planches ! Injustement boudé, le dramaturge américain sait pourtant disséquer les cruautés des relations humaines avec une justesse ébouriffante. Au théâtre de Poche, Charlotte Rondelez exacerbe les tensions familiales dans La Ménagerie de verre avec un certain doigté en dirigeant un quatuor d’acteurs complémentaires et émouvants, chacun à leur façon.
Chez les Wingfield, un trio essaye de cohabiter malgré des caractères bien différents. Nous avons la mère, Amanda, mère surprotectrice et étouffante qui se réfugie dans un passé réconfortant ; puis la fille, Laura, femme-enfant handicapée et d’une timidité maladive et enfin Tom, le narrateur, le grand frère solide qui tente de joindre les deux bouts et qui aspire à un ailleurs plein d’aventures.
Folie et lucidité
La mise en scène, clairement centrée autour du dysfonctionnement familial, met en lumière avec force l’incommunicabilité entre ces trois êtres qui ne comprennent pas vraiment. Cristiana Reali, volcanique en diable, campe une mère exubérante dotée d’une énergie fort inquiétante. Celle du désespoir ? La recherche du bonheur de cette femme hantée par des spectres a quelque chose de pathétique. Elle agace et émeut à la fois.
Ophélia Kolb, elle, s’empare du rôle difficile de Laura avec une grâce difficile à décrire. Aérienne lorsqu’elle danse avec sa licorne de verre ; poignante lorsqu’elle comprend muette son état définitif de vieille fille ; rieuse le temps d’une valse avec son amour de jeunesse… Sans doute l’un de ses plus grands rôles au théâtre. Charles Templon, séduisant narrateur, bouillonne d’une rage intérieure avec une grande élégance. Il interprète brillamment un dandy frustré et courageux qui noie ses illusions dans l’alcool… Enfin, Félix Beauperin s’en tire très bien dans la partition ingrate de Jim, le galant à la fois attentif et très maladroit. Beaucoup de prestance.
Afin de restituer l’atmosphère mentale souhaitée par Williams, Charlotte Rondelez joue sur un contraste entre décor vintage ultra réaliste et un mur vaporeux. La musique a aussi son importance tout comme la présence de quelques projections vidéo. Le contexte historique s’avère donc à la fois clairement défini et flou. Un entre-deux réussi qui évite de tomber dans le piège de la psychologisation des personnages. ♥ ♥ ♥ ♥
LA MÉNAGERIE DE VERRE de Tennessee Williams. M.E.S de Charlotte Rondelez. Théâtre de Poche. 2h. 01 45 44 50 21
© Pascal Gely