Avec Le 20 Novembre, Alexandre Zeff livre un solo coup de poing sur la marginalité. Le monologue vindicatif de Lars Norén se retrouve sublimé dans une mise en scène ultra esthétique, convoquant la beauté de la terreur. Camille de Sablet s’impose avec une puissance de déflagration dévastatrice au Théâtre-Studio d’Alfortville. Une pépite stylisée et déchirante à ne pas rater.

Tapie dans la pénombre, une silhouette menue nous invective et réclame notre attention. Une lumière pendulaire éclaire par instant un visage hagard. Murmure doucereux et fétide, Pythie de l’an 2000, Sébastian Brosse annonce qu’il commettra un massacre dans son lycée d’ici une heure. Le temps d’exposer son harangue anti-capitaliste, anti-religieuse et d’expliquer ses motivations.

D’emblée, Alexandre Zeff distille une atmosphère troublante, mi-effrayante, mi-hypnotique. On plonge insidieusement dans la psyché de cet ado complexé planifiant scrupuleusement sa vendetta. La minutieuse préparation de son coup d’éclat se montre captivante et sans aucun temps mort.

Rouge sang
Dans un ring d’eau rougie, Camille de Sablet endosse sa tenue d’enfant-soldat avec un abattage monstrueusement prodigieux. Son timbre rauque d’exterminateur des masses, sa démence lucide, glacent le sang. D’un bout à l’autre de ces quarante-cinq minutes, elle prend aux tripes et tient en haleine sans jamais se départir d’une sincérité viscérale. Une actrice d’un grand talent à suivre de très près.

D’aucuns hurleront à la surenchère d’effets et déploreront un manque d’épure mais l’intelligence de la mise en scène de Zeff repose justement sur sa totale cohérence : chaque élément a sa place, chaque regard est posément étudié, tout l’espace s’avère envahi par la présence de ce bouc-émissaire révolté. Un crayonnage frénétique et anguleux à la craie sur un tableau, danse infernale et logorrhéique, lumière rouge sang… L’écrin scénique donne de la majesté à la violence de la diatribe sans en occulter sa virulence et surtout sans vouloir cautionner les actes de ce lycéen. L’esthétique de cette version accompagne bien plus qu’elle ne dénature le texte de Norén. Rien n’est gratuit ici, pas d’emballage superficiel.

Quelle ironie du sort pour Sébastian Brosse ! Presque dix ans après son attentat suicide n’ayant entraîné aucune mort à part la sienne, plus personne ne connaît son nom. Lui qui voulait enfin se distinguer, retombera vite dans l’anonymat. Entre temps, la tuerie d’Utoya, Charlie et le massacre de l’Université de Garissa sont passés par là. Sensible au sort de ce sacrifié volontaire, le dramaturge suédois s’est donc engagé dans une voie devenue peu novatrice mais toujours aussi remuante.

Alexandre Zeff est un metteur en scène qui prend incontestablement du galon : son souci de l’esthétique, sa direction d’acteurs engagée et sans fioritures en font un artiste précieux. Son 20 Novembre, crée il y a deux ans à la Loge, marquera indéniablement les esprits. ♥ ♥ ♥ ♥ ♥

LE 20 NOVEMBRE de Lars Norén. M.E.S d’Alexandre Zeff. Studio-Théâtre d’Alfortville. 01 43 76 86 56. 45 min.