Même pas vrai !, comédie écrite à quatre mains par Nicolas Poiret et Sébastien Blanc, décape malignement les rapports familiaux sur fond omniprésent de mensonge. Qui est la dupe de qui ? Portés par la mise en scène tendue, délirante et piquante de Jean-Luc Revol, les comédiens s’amusent à se lancer des vacheries à tout bout de champ, la fantastique Raphaëline Goupilleau en tête. Le public du Théâtre Saint-Georges s’esclaffe et nous aussi ! Attention aux menteurs, ils finissent toujours par se faire prendre à leur propre jeu…

Mathilde, agent immobilier énergique et gouailleuse, n’a pas sa langue dans la poche. Bien décidée à percer le secret de son chirurgien de mari Arnaud, cette mythomane compulsive organise un dîner où les règlements de compte se déchaîneront avec une absurdité contagieuse. Même pas vrai ! rappelle à bien  des égards Le Dîner de cons, en l’occurrence une conne : Marie, psychanalyste, arrive trop tôt chez Mathilde et Arnaud. La pauvre va subir une farce des plus machiavéliques mettant à rude épreuve ses nerfs et la poussant à boire jusqu’à l’ivresse et son départ… Cette scène centrale donne le la d’une pièce centrée autour du jeu et de la manipulation. La thématique de la dissimulation repose surtout sur les épaules de la maîtresse de maison, personnage énigmatique et ambivalent. Est-elle une réelle mythomane ou se voile-t-elle la face en éludant sans cesse les questions épineuses ? Difficile de trancher tant cette femme perversement joueuse se tient en équilibre entre le déni, l’inconscience et une volonté farouche de mentir effrontément à son entourage.

Ces mensonges quotidiens font effectivement des victimes collatérales en commençant par Arnaud le mari, à la fois complice de sa femme et complètement largué par ses délires. Avouons qu’il est assez savoureux de s’entendre dire que l’on a reçu un tailleur de la part du Président de la République… Michaël, le fils prétendument gay mais couchant avec Irène la cougar, accessoirement associée d’Arnaud et meilleure amie de Mathilde, se retrouve lui aussi embarqué dans cette grande rigolade aux conséquences pour le moins catastrophiques. Constamment rabaissé par ses parents qui le prennent pour un ado attardé, le jeune homme se retrouve étouffé dans une sphère familiale borderline.

Cette pièce résolument moderne bénéficie de l’écriture incisive de deux jeunes auteurs : Nicolas Poiret et Sébastien Blanc ont concocté une comédie trépidante et astucieuse. Les piques volent, les scènes de ménage éclatent et les coups bas se déroulent en présence de témoins gênés. Bien qu’il soit compliqué de se mettre tout de suite dans le bain, la faute à un début en chapeau de roue assez difficile à assimiler, la pièce gagne ensuite en cohésion et en cohérence.

Le décor mobile et ingénieux de Stéfanie Jarre assure les transitions fluidement et permet à toute la troupe de personnages de se confronter lors de scènes choc comme cette partie de Trivial Pursuit assassine et tordue. La reine qui mène le bal, c’est évidemment Raphaëline Goupilleau, cristallisant cet instant de crise magistralement. L’actrice irradie en menteuse vacharde, avec son ton de voix si naturellement moqueur et son venin craché sans distinction. Elle se balade sur scène, distribue gracieusement ses méchancetés, s’en va puis revient encore une fois en tant que chef d’orchestre de cette mascarade plutôt violente. Rêvant de magie dans sa vie, Mathilde ment pour pouvoir supporter plus facilement les difficultés de la vie. À ses côtés, Bruno Madinier campe un mari un peu perdu, ne sachant plus comment parler à sa femme. Ce duo se complète bien et met finement en valeur la difficulté de communiquer et de se comprendre au sein d’un couple. L’amour intense que se portent les époux passe par le mensonge et les dérobades, incapables de se dire franchement la vérité. Thomas Maurion joue le fils ahuri et consterné avec fraîcheur, Anne Bouvier est délicieuse en sainte-nitouche qui pète un câble et Valérie Zaccomer incarne avec extravagance une associée stressée de devoir supporter des amis si pénibles.

Seul léger reproche à noter : la transition mal assurée et maladroite entre la comédie absurde et loufoque et les moments plus dramatiques vers la fin. L’amorce sérieuse n’est pas suffisamment préparée en amont pour toucher avec sincérité. Dommage mais aisément rectifiable !

Même pas vrai ! offre ainsi une réflexion actuelle sur la place du mensonge dans notre société, vice régissant nos vies avec une étendue vertigineusement conséquente. Jouant à fond sur les non-dits et la bombe que suscite la découverte de la vérité, cette comédie amuse follement et bénéficie d’un casting humoristique cinq étoiles. Un franc moment de rigolade à voir d’urgence au Théâtre Saint-Georges ! ♥ ♥ ♥ ♥